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Aux bouches de l’Enfer, l’inexpiable bonheur  

Et au milieu coule une rivière. Un vrai paysage de carte postale. Et les invités féliciteront leur amie Hedwig Höss, absolument enchantés de leur séjour pendant les rudes chaleurs de l’été continental dans cette maison tout confort pour publicité immobilière, parfaitement aménagée avec piscine, pique-nique, jardin fleuri, potager, serre et domestiques toutes dévouées à satisfaire les désirs de ses hôtes. À la rentrée, les enfants impeccables, endimanchées dans leur tenues de couleurs, reprendront le chemin de l’école non sans que la Maman n’oublie de leur glisser un petit goûter à emporter.

Et lorsque son mari lui annoncera sa promotion d’inspecteur-adjoint en Allemagne, à Oranienbourg,  elle refusera tout net de le suivre : elle ne quitterait pour rien au monde son petit paradis, un rêve de vie, alors que lui, imperturbable, comme pour l’assemblée générale d’un conseil d’administration, sera chargé là-bas en plénière de présenter aux responsables l’organisation des prochains convois des Hongrois, le convoi Höss en hommage à la méticulosité monstrueuse du grand coordonnateur.

Tout serait pour le mieux pour elle sans ces cheminées de hauts-fourneaux déversant à jet continu leurs fumées noires et vomissures de lave rougeoyante, sans ce sourd grondement jour et nuit de bruit de forge dans le lointain. Sa mère en devine l’origine et quittera précipitamment la maison avec une lettre que sa fille se hâtera de jeter au feu, dans le poêle. Et derrière les hauts murs d’enceinte qui séparent l’en-deçà de la maison du commandant de l’au-delà des bouches de l’Enfer, rien, sinon quelques détonations et cris, l’ordre de noyer dans la rivière un petit voleur de pommes, des tunnels pour circuler sous les murailles ou les enfants d’Hedwig comptant le soir dans leur lit l’or des dents récupérées par les bourreaux. Ceux du camp allemand d’Auschwitz, en Pologne. 

Et à côté du bonheur inexpiable, les flammes de l’enfer d’un Moloch insatiable qui brûle dans ses fours les martyrs de l’horreur nazi. Avec pour le servir, le commandant du camp, Rudolf Höss. Et la rivière charrie les boues noires des cendres, ultime sépulture, avec de l’autre côté la fumée blanche des trains conduisant vers la mort les Juifs d’Europe, bientôt les Hongrois, froidement exécutés. Victimes de la « Solution finale ». 

Très difficile après le film-mémorial d’une durée de dix heures, le monument Shoah de Claude Lanzmann, d’évoquer l’extermination des Juifs sans un sentiment de profanation . Restaient  l’humour désespéré de Roberto Benigni pour son film La vie est belle, le roman archi documenté du génocide, Les Bienveillantes de Jonathan Littell, compilant des centaines d’archives ou le  bouleversant Choix de Sophie de William Styron ; et tant d’œuvres de témoignages. 

Ou comme ici, le pari de Jonatan Glazer, réussi, le parti-pris de ne rien montrer de l’indicible, de laisser deviner, par contraste avec le pavillon du bonheur, toute les douleurs d’une humanité sacrifiée qu’on déshumanise et qu’on tue.

Post-scriptum. Après le procès de Nuremberg, Rudolf Höss finira pendu à Auschwitz sur les lieux mêmes de ses crimes. Tout près de la maison dont sa femme avait rêvé, dans la jeunesse de sa vie.  


Lesaloes
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le 21 janv. 2024

Critique lue 28 fois

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