Le choix de la cité fondée par William Penn est tout sauf innocent et renvoie à la thématique messianique de la série. Son nom, Philadelphie, amitié fraternelle, est celui de la ville antique de Lydie où s'établit une des sept congrégations chrétiennes mentionnées dans l'Apocalypse.
Encadrée par le solide quatuor de coéquipiers enracinés dans le quotidien d'un commissariat américain de Philadelphie, une frêle et diaphane policière aux yeux rougis, sans larmes, l'actrice principale Kathryn Morris dans le rôle de Lilly Rush, comme une médium mélancolique et pleine d'empathie, est postée en vigie sur la ligne de partage de la puissante réalité de la vie et des limbes où flottent les ombres errantes des victimes d'affaires criminelles classées, non résolues.
Qu'importe d'ailleurs l'intrigue reprenant tous les codes d'une recherche de la vérité dans le cadre d'une enquête rouverte qui emprunte au genre ses fausses pistes, faux coupables et rebondissement final. Toute l'originalité de la série réside en effet dans le style et le traitement en tonalité mineure des dossiers exhumés ainsi que dans la reconstitution très aboutie, musique comprise, d'une époque disparue et ressuscitée, avec le va-et-vient de la plongée temporelle de ses flash-backs et la stupéfiante superposition, en brèves séquences alternées, des personnages surpris dans deux âges de leur vie, à l'exemple de cette vieille dame ridée à la chevelure argentée, simultanément pulpeuse jeune femme dans tout l'éclat de sa jeunesse triomphante.
Jusqu'à ce que, dans les toutes dernières images, dans une furtive et ultime apparition, la victime fantomatique des épisodes crépusculaires de Cold Case s'efface définitivement à nos regards complices, toute entière rendue à une sérénité retrouvée dans la lumineuse harmonie d'un Cosmos d'équité et de vérité. Pour que, justice faite, elle puisse y retrouver sa place et reposer dans la paix d'une affaire élucidée, réellement classée, enfin.
Autant d'éléments qui renvoient chacun de nous à une méditation sur la fuite du temps et le déroulé de son propre vécu, comme lors de la redécouverte de photos oubliées qui suscitent à la surface de la conscience toute une bouffée de souvenirs vivaces ou flous d'êtres aimés, absents ou disparus.