Vol au-dessus d’un nid de coucou appartient à ce club très fermé des grands classiques, fictions-miroirs de nos sociétés contemporaines : soit prémonition visionnaire dès 1971 d’Orange Mécanique de Stanley Kubrick, portrait glaçant d’une jeunesse désœuvrée du gang d’Alex et de ses droogies sans repères moraux ou idéologiques, basculant dans l’acte gratuit de l’ultra-violence ; soit métaphore de notre modernité, voyeurisme des télé-réalités ou injonction de transparence de nos existences et de nos données dans The Truman Show (1998) réalisé par Peter Weir ; ou enfin mythe idéalisé d’une Amérique de la réussite et de la libre entreprise de Forrest Gump de Robert Zemeckis (1994).
L’exceptionnel succès et pérennité de Nid de coucou repose sur les remarquables performances de ses acteurs. Louise Fletcher, déesse-mère tyrannique régnant sans partage, avec une inflexible douceur, sur son pré carré, le microcosme de ses patients, troupeau asservi et abruti par les drogues et anxiolytiques, gardienne jalouse de règles de vie qu’elle voudrait immuables car pour elle estimées justes, imperturbable infirmière complice des traumatismes et traitements mutilants invalidants des électrochocs et lobotomies.
En opposition frontale (attirance sexuelle latente, selon K. Douglas dans son autobiographie), l’insubordination d’un formidable Jack Nicholson, interprétant avec maestria le meilleur rôle de sa carrière, Mac Murphy, délinquant interné d’office, simulant la folie pour échapper à la prison, intrus dans ce nid de coucous - double sens de l’anglais cuckoo, nom de l’oiseau coucou et adjectif dingue, fêlé, barjot - tout à son optimiste entreprise d’émancipation, à sa périlleuse volonté de révolution hospitalière pour introduire un souffle de liberté dans l’étouffement de cet univers clos mais sécurisant de routine journalière. Il perdra la partie, victime lobotomisée, après avoir tenté d’étrangler l’infirmière coupable du suicide d’un patient.
Le film reste une superbe métaphore du système totalitaire qui éradique toute velléité de révolte de la part de dé-viants, héros de la liberté : Mac Murphy allant jusqu’au sacrifice pour l’émancipation de ses compagnons - à l’image de Spartacus crucifié, symbole de peuples opprimés luttant pour s’affranchir - opposants de l’ex-URSS enfermés dans les hôpitaux, la nomenklatura assimilant alors leur refus du paradis communiste à une déviance, une authentique folie. Cependant, apparemment vaincu, Mac Murphy aura triomphé : dans un final de tragédie, le géant indien Chef Bromden, mutique et guéri grâce à lui, le libérera en le tuant, immense et paradoxal geste d’amour, brisera les barreaux pour s’envoler de la prison - One flew over the cuckoo's nest - pour affronter la réalité d’un monde où il se fera l’apôtre de la geste, du message et du martyre de son ami.