Métamorphose narcissique
J'aime beaucoup le cinéma de Todd Haynes, lorsqu'il s'attache à porter sa caméra au delà du mur des apparences pour disséquer un certain "American way of life", et traquer les malaises et...
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le 26 janv. 2024
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« May-December est une expression qui désigne en anglais une relation où les deux partenaires ont une grande différence d'âge. Les mois symbolisent les saisons, le printemps représentant la jeunesse et l'hiver la vieillesse. »
Vouloir, par souci de vérité artistique, côtoyer durant tout le mois de mai - du Memorial Day jusqu’à la remise des diplômes de fin de lycée - pour mieux l’incarner dans un film en préparation, le personnage de Gracie, surprise à 36 ans dans les années 90 en pleine relation amoureuse dans la réserve d’une animalerie avec Jo, jeune employé de treize ans, c’est tout l’enjeu d’Elisabeth, actrice de seconde zone de la télé américaine. Elle va alors partager la vie de cette famille atypique, un enfant sera né en prison, les deux amants se seront ensuite mariés et auront un couple de jumeaux.
En soulevant ainsi le toit de leur maison de Savannah au bord du fleuve, l’actrice découvre les traces du profond traumatisme consécutif au scandale, une Gracie encore très fragilisée au bord des larmes, son mari à ses côtés très protecteur craignant de la perdre. Et le JEU artistique entre les deux femmes va se transformer peu à peu en un étrange exercice d’identification, un DOUBLE JE, en trois scènes phares, le maquillage par Gracie d’Elisabeth qui se découvrent quasi jumelles dans le miroir, Elisabeth retrouvant et ressentant l’orgasme de Gracie dans l’arrière-boutique des amants, et sa bouleversante interprétation de sa lettre d’amour en très gros plan, face caméra.
Mais, même en 2015, Elisabeth représente encore la bonne conscience, le puritanisme conservateur du peuple des Etats-Unis et voudra instiller d’une manière perverse le doute dans le jeune mari de 36 ans qui va désormais se retrouver en face à face avec sa femme dans un maison vide, ses enfants les quittant pour l’université. Elle aura elle aussi, en femme libérée assumant ses pulsions, une scène de sexe avec lui, le même rapport sauvage que celui des origines, pour lui rappeler sa jeunesse d’homme et un avenir prometteur à saisir. Comme une démiurge qui voudrait rétablir l’ordre harmonieux d’un cosmos américain où sont interdites et considérées comme contre-nature les romances May-december.
Un film à conseiller, mené de main de maître par Todd Haynes qui plonge là encore dans les régions grises de l’âme humaine, avec les interprétations brillantes des deux actrices, Natalie Portman et Julianne Moore, qui aurait pu sans se dévoyer s’amputer de quelques longueurs / langueurs ; avec un surprenant Charles Melton, colosse légèrement bedonnant en mari qui semble à peine sorti de l’adolescence et élève des larves de papillons, des monarques, célèbre pour leurs migrations de grande ampleur, qu’il va voir s’envoler à la fin du film.
Un signe de son prochain envol, de la fin d’une emprise et de sa mauvaise conscience à vouloir se libérer d’une femme qu’il aime mais qui lui aura imposé trop jeune et encore immature son destin. Mais que deviendrait Gracie qui aura défié la bienséance et assumé par amour fou la honte, les procès et les prisons ?
Créée
le 6 févr. 2024
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