Jonathan Glazer assume un parti pris narratif fort, celui de raconter l'horreur sans la montrer directement, et cherche ainsi à interroger notre rapport aux images de l’Histoire. Il se concentre sur la famille Höss, dont le père commande le camp d'Auschwitz-Birkenau et dont la maison et le grand jardin sont collés directement au mur de ce dernier. Tous ont parfaitement conscience de ce qui se passe et entendent profiter du gain de statut matériel et social que procurent leur position. Dans des journées bien réglées, la famille embrasse complètement l’idéologie nazie : une vie saine proche de la nature, au grand air, avec beaucoup d'enfants. Madame œuvre sans relâche pour un jardin magnifique bien ordonné, tout comme sa maison. Leur position leur permet d'accéder à un confort matériel sans précédent, des cadeaux réguliers (arrachés aux victimes), du personnel de maison et du personnel extérieur corvéable à merci, et même une promesse de terres agricoles à la fin de « tout ça ».
Si rien n'est montré frontalement, le paradoxe et l'horreur de cette vie paisible et révélée par le son et par la composition des plans. Ainsi on entend en fond le bruit omniprésent des machines, du train, des fours, des chiens, des cris des soldats comme des victimes. Les images sont décadrées et c'est toujours en arrière-plan ou dans les coins que l'on voit apparaître la fumée d'un train, une fumée sale qui bouche l'horizon, un bout de barbelé. Ou encore de manière détournée quand on aperçoit toutes les cendres qui blanchissent la rivière…. L'horreur est ainsi tapie dans les coins, repoussée dans les coins de l’esprit de cette famille, qui ignore sciemment et pousse le cynisme à utiliser les cendres pour fertiliser son jardin.
Je suis peut-être un petit peu moins emballé par certains plans et choix de réalisation qu'on pourrait juger « calibrés pour les festivals », peut-être un peu artificiels et poseurs, comme c'est long passage au noir ou rouge, ou encore cette inclusion moderne à la fin qui selon moi n'apporte pas forcément grand-chose.
Le film charrie son horreur en creux, car elle est à la fois absente et omniprésente, renforcé par l'acceptation totale de cet « état de fait » par la famille du commandant. Le réalisateur choisit une autre manière de raconter l’innommable, l’immontrable, et y arrive sans naïveté mais également sans misérabilisme. Il faut souligner l'excellent et surement difficile jeu des acteurs, qui fascine autant qu'il révulse. Pour Sandra Hüller, c'est justement l'approche du réalisateur qui l’a convaincu d’accepter. En effet, Jonathan Glazer refuse l’esthétisation du régime nazi, malheureusement souvent présente dans les films, le régime ayant très bien compris le pouvoir des symboles.
La zone d'intérêt n'est pas un film plaisant au sens cinématographique. Mais cette proposition marque les esprits, en dépouillant l’esthétisme pour rappeler nos arrangements avec la vérité, la facilité avec laquelle on peut ignorer certaines réalités quand on en bénéficie. En cela on peut dire que le film relève presque de l'intérêt nécessaire.