J'attendais énormément ce Zone of interest de Jonathan Glazer dont le dernier film, Under the skin, m'avait laissé un excellent souvenir par l'ambiance installée et la radicalité proposée. Presque 10 ans plus tard, ce sont ces éléments qui ressortent encore de sa nouvelle proposition cinématographique.

Zone of Interest parle d'un sujet fort mais maintes fois éculés au cinéma : la Shoah. Prenant la forme de documentaires ("Shoah" de Claude Lauzmann en 1985 ou "Nuit et brouillard" d'Alain Rennais en 1955) ou de fictions ("La liste de Schindler" de Steven Spielberg en 1994 ou plus récemment le parait-il excellent "Le fils de Saul" de Laszlo Nemes en 2015), le sujet semblait avoir été traité par tous les bouts, sans plus aucune innovation formelle possible.

Mais Glazer parvient à proposer un angle nouveau : celui de vivre la situation du point de vue des allemands, en suivant leur vie, leurs problèmes, leur quotidien. Zone of Interest s'intéresse à la vie familiale Rudolph Hoss, SS chargé du commandement du camp d'Aushwitz, dont la maison est adjacente au camp.

Le film s'ouvre sur un écran noir de presque 5 minutes accompagné d'une musique qui, au fur et à mesure, devient de plus en plus dissonante et désagréable à l'oreille. Tout est déjà dit : dans ce film, nous ne verrons pas l'horreur mais nous l'entendrons, nous la ressentirons. C'est un choix radical posé par Glazer, la caméra ne filmera jamais l'intérieur du camp, ne montrera pas ces gens dont la souffrance est immense, mais pour autant, nous ne serons pas épargnés par l'horreur de cette situation infernale.

Le contraste est fort : nous sommes dans le jardin de la famille de Hoss, construit pour être un véritable "jardin d'Eden", un coin de paradis", mais qui a pour clôture un camp de concentration. Si cette famille semble s'en accommoder, nous spectateurs ne pouvons passer à côté. Tout se passe en hors champs, mais tout se passe quand même. On entend ces cris incessants, ces coups de feu, on voit la fumée qui émane des trains amenant une nouvelle "cargaison", des fours du camp qui brûlent la nuit, ... On est témoin de cette horreur, nous ne sommes pas dupe, on sait ce qu'il se passe. Le procédé n'est pas nouveau (je parle du hors champs), mais il donne ici une réelle puissance au film. Tout semble si réel. La caméra est souvent placée dans des endroits reclus (à l'instar d'une caméra de surveillance), et filme en grand angle, ce qui renforce l'aspect réaliste du film et qui montre l'immensité du camp (notamment lors de longs travelings latéraux).

Les personnages sont certes plongés dans un cotexte particulier, mais ils vivent une vie des plus banales. Les enfants jouent au soldat, s'amusent dans la piscine, la mère (interprétée par une Sandra Huller monstrueuse, méconnaissable par rapport à son rôle dans Anatomie d'une chute) jardine, le père part au boulot la journée et revient le soir, ils partent ensemble en excursion le weekend, ils semblent oublier les cris d'horreurs qu'ils subissent au quotidien (ou du moins, ils font semblant de les oublier). Seul le personnage de la grand-mère rendant visite à sa fille semble dérangée par la situation. Cette banalité du mal est glaçante.

J'ai entendu la critique du fait que le film était ennuyeux de part son absence d'enjeux scénaristiques. C'est clair qu'on n'est pas dans un Spielberg, mais ce côté documentaire, filmant le réel de ces gens "normaux" mais pour qui nous n'avons aucune empathie est vraiment effroyable, ce qui en devient fascinant. De plus, Glazer intercoupe son film de moments plus expérimentaux et sensoriels, ce qui permet d'aérer le récit et d'ajouter des couleurs à l'ambiance générale du film.

A ce titre, j'ai vraiment aimé le passage à la fin du film qui montre les travailleuses de l'entretien du camp actuel. D'abord, ça permet de faire un parallèle avec ce qui se passe dans le film. Des gens travaillent tous les jours dans ce camp et en viennent à normaliser leurs actes de travail et le contexte dans lequel ils les posent. Ensuite, cela permet aussi de tisser des liens avec l'actualité. L'antisémitisme et le racisme sont de retour, l'extrême droite frappe à la porte partout en Europe.

Il y aurait encore sûrement beaucoup à dire tant nous avons affaire à une œuvre dense et importante. Zone of interest est un grand film au traitement radical d'un sujet important, à voir absolument. Il s'agit de ne pas oublier. Jamais.

Loeil-de-Lynx
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le 9 févr. 2024

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