La "zone d'intérêt", expression utilisé par les SS nazis pour désigner le périmètre de 40 kilomètres carrés entourant le camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau.
La "banalité du mal", concept philosophique développé par Hannah Arendt pour signifier que l’absence de pensée face à une autorité peut conduire des personnes ordinaires à accomplir des actes monstrueux sans réfléchir à leurs conséquences morales ou éthiques.
Mettre en scène l’une des pires périodes de l’Histoire au cinéma, plusieurs réalisateurs s’y sont confrontés d’Alain Resnais à Steven Spielberg, pour se différencier des œuvres préexistants, Jonathan Glazer choisit d’aborder l’Holocauste d’une façon, rarement vu avec un dispositif cinématographique redoutable et avec un regard inédit celui de la famille Höss résidant à deux pas du camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau et dont le patriarche Rudolf Höss n’est autre que le commandant en chef du camp
Issu d’une famille juive, Jonathan Glazer débute le projet dès l’année qui suit la sortie de son précédent film Under The Skin en 2013 et c’est au bout de 10 ans que son film prend forme. Librement inspiré par le livre de Martin Amis du même nom que le film, qui racontait entre autres le quotidien paisible de la famille Doll, famille fictive inspiré de la famille Höss aux abords du camp d’Auschwitz.
Produit par A24, THE ZONE OF INTEREST est une plongée troublante dans le quotidien, aveugle et insensible d’une famille aryenne “idéale” face à la mort.
D’un réalisme glaçant, Jonathan Glazer embarque le spectateur dans la vie de famille de Rudolf Höss et de sa femme Hedwig dans leur demeure familiale, un jardin d’Eden que le couple Höss a bâti à proximité du camp.
Ce quotidien idyllique dépeint de manière quasi-documentaire s’entrechoque avec l’horreur abstraite, car derrière ces grands murs en béton qui délimite le jardin familiale se déroule les plus grandes atrocités de l’Histoire.
Montrer l’horreur sans jamais la voir, c’est le parti pris qu’utilise Jonathan Glazer pour capturer la terreur quotidienne avec l’utilisation d’un hors-champ intensifié par un travail sonore absolument terrassant de Mica Levi.
Le réalisateur britannique choisit d’occulter l’horreur et la violence pour plonger le spectateur dans une expérience sensorielle troublante, une violence si proche et qu’on entend mais invisible à l’écran,
pourtant elle est bien présente dès la longue ouverture au noir intrigante et annonciatrice, les coups de fusils, les cris et pleurs des prisonniers, le bruit des fours crématoires, le sifflement des trains ou encore l’image qui se sature aux moindres images choc.
Outre que la violence du hors-champ, la mise en scène de Jonathan Glazer est clinique et tourne autour d’un dispositif précis : des plans fixes avec un manque volontaire d’esthétisation, une lumière crue rendant l’image plate, absence total de gros plans tout est filmé avec une certaine distance, l’emplacement de la caméra à chaque coin de la pièce de la maison … la mise en scène que développe Jonathan Glazer est une croisée entre le documentaire et une émission de télé-réalité. La caméra de Glazer est un œil, un outil purement observatoire qui ne fait qu’accroitre la terreur chez le spectateur, devant tant de vanité et d’insensibilité.
On peut ajouter l’inversion des couleurs lors des deux scènes nocturnes en négatif, apportant une touche expérimentale pour exprimer les rares bonnes intentions dans le film à savoir une jeune fille polonaise qui nourrit secrètement les prisonniers, la nuit. Comme si le film inverse la normalité et de ce qui est bon avec l’utilisation de la couleur.
Ce que reflète le film de Jonathan Glazer est la banalité du mal, montrer à quel point, il existe des hommes et femmes dépourvus de sentiments, des hommes obéissant à un ordre précis sans penser aux conséquences morales ou éthiques, Glazer immisce le spectateur dans la psychologie de cette famille “idéale”. Dans le film, cette famille nazie n’est pas représentés comme des êtres monstrueux ou machiavéliques, ils sont naturels et sont banalement humains, et c’est ça qui terrifie, les personnages qu'on observe n'éprouvent aucune empathie et vivent un quotidien luxueux et paisible avec une absence total d’humanité.
En plaçant le spectateur dans la même position que les personnages du film, Jonathan Glazer s’interroge sur les frontières de l’âme humaine.
«Il était important de ne pas montrer ces personnes comme des monstres. Ce sont des êtres humains qui ont infligé ça à d'autres êtres humains.» Jonathan Glazer
Explorant les limites du medium pour capturer une horreur non visible, THE ZONE OF INTEREST est une oeuvre importante, un film choc où la terreur émane de l’invisible, un film qui dissèque la profondeur la nature humaine et surtout il est une véritable proposition de cinéma où l’horreur quotidienne s’entrechoque avec la banalité du mal.
« This movie is not a document. It's not a history lesson. It's a warning. » Jonathan Glazer