En 1943, les Höss habitent une maison cossue dotée d’un beau jardin. Sous leurs fenêtres, les barbelés du camp de concentration.
Avant l’image, il y a le son. Les cris d’oiseaux, une fureur métallique, des vocalises venues d’ailleurs. L’écran noir insiste comme dans le préambule du Ruban blanc de Michael Haneke. Dans la salle, des chuchotements s’élèvent pour contrer la gêne. Puis apparaît le soleil éclatant les blondes chevelures tressées et corps à demi-nus de cette famille au bord de l’eau. Si paisible semble l’existence. Le lendemain, après avoir reçu son cadeau d’anniversaire, le père, arborant un uniforme nazi, part au travail. A quelques mètres de là, le contre-champ révèle les miradors d’Auschwitz.
En 2015, le Hongrois László Nemes nous entraînait dans les chambres à gaz en collant sa caméra au plus près de Saul, prisonnier juif du Sonderkommando chargé de les vider. Une épreuve de force. La zone d’intérêt pourrait être son pendant, Jonathan Glazer préférant filmer à l’extérieur sans pour autant taire l’immontrable. Alors que les hommes dissertent sur les améliorations à apporter aux rouages du système, les femmes s’agitent autour des vêtements récupérés et rient de ce diamant retrouvé dans un tube de dentifrice. Devant le miroir, l’impitoyable reine mère endosse un manteau de fourrure qu’elle n’a pas acheté. A part une doublure à recoudre, il est parfait. Dans le rôle, Sandra Hüller glace le sang. Anatomie du mal. Au dehors, les enfants se rafraîchissent dans la piscine alors qu’au loin la fumée du train avance. Une fois en chambre, ils jouent avec des dents. Dans ce paradis cerné par l’enfer, plus personne ne fait attention aux hurlements quotidiens, coups de feu et à cette odeur tenace que les fleurs de l’éden tentent de masquer. Quant à ce bruit de fond issu de la machine génocidaire digérant les corps brûlés, on ne l’entend plus. Ni ignorance, ni déni, mais de l’acceptation.
Soit l’impossibilité de représenter la Shoah au cinéma. Des plans fixes d’une froideur extrême marque la distance afin d’éviter toute empathie envers les bourreaux face à des victimes que l’on ne verra jamais. Les seules larmes coulées sont celles du bébé et l’unique « Je t’aime » prononcé s’adresse à un cheval. En caméra thermique, effet plutôt superfétatoire, on nous raconte l’histoire d’une petite résistante. Après avoir enfourné la sorcière, Gretel sème des pommes avec l’espoir de ravitailler ceux qui vont crever.
Dans ce contexte, les détails les plus anodins soulignent l’horreur de la situation. Ce sont ces rideaux que l’on n’a pas pu obtenir aux enchères, ces cendres que l’on dépose au pied des plantes pour les embellir, cette jeune Juive qui doit écarter les jambes. Le malaise se ressent, hérisse le poil et tord l’estomac. Jusqu’au vomissement qui souillera les marches du quartier général…
Sur un fil, le réalisateur tisse un lien audacieux avec le présent rappelant que la banalité de l’indifférence n’est jamais loin de nous. Astiquée, Auschwitz est une nécropole aujourd’hui devenue lieu de mémoire prisé des touristes.
(8.5/10)
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