Malheureusement (ou heureusement) le film a beaucoup fait parler de lui ces derniers temps, ce qui m'a ôté la possibilité de le découvrir totalement lors de mon visionnage. J'avais déjà en tête l'aspect contemplatif, l'arrière fond et l'idée. Néanmoins ce n'est qu'un détail puisque nous faisons indubitablement face à un grand film qui ne ménage pas son spectateur.
Durant un peu plus d'une heure et demie nous prendrons place dans cette famille de dirigeant et de logisticien nazi à Auschwitz, par le biais d'une caméra fixe allant de plan en plan dans chaque pièce à la façon d'un catalogue.
Tout est lisse, terne et semble factice. Les murs, les meubles, l'herbe et les fleurs... Au moins autant que le quotidien de cette famille des plus banales qui semble s'épanouir et se targuer de la "réussite" du patriarche, à la façon d'une famille de la petite bourgeoisie qui serait, à l'aide de rente, parvenu à dépasser sa condition. Lorsque le mari est transféré et que la question de devoir partir se pose, ne sommes nous pas dans le plus classique des mélo-drame bourgeois ?
Sauf que nous sommes dans la zone d'intérêt à Auschwitz. Et que le spectateur autant que les personnages ne peuvent l'oublier, malgré tous les efforts pour garder la tête froide. La bande-son est excellente en tant qu'elle impose un brouhaha de machine et de souffrance constant qui se joue en arrière fond. Si seulement ce n'était que ça. Mais le film va plus loin. Il n'est pas uniquement question de montrer que d'un côté se joue l'horreur et de l'autre la banalité.
L'enjeu est autre en tant qu'il illustre le paradoxe d'une existence tout à fait humaine ayant intégré l'inhumain. Car il est bien clair que cet homme n'est pas un pion, qu'il a tout à fait conscience de ce dont il participe et qu'il s'en sert comme d'un levier social dans ce régime nazi. Cela lui est autant rappelé qu'à nous, spectateur, et c'est à ce moment là que la plus grande qualité du film apparaît, à savoir son côté matérialiste, le fait qu'il retourne par lui-même à la matière de l'horreur de l'autre côté du mur : os, dents, fumé, aboiements, cris, vomi, poussières, cendres... Bien que tout se joue hors champs, rien ne nous est épargné. Même les séquences négatives avec cette petite fille qui semble apporter des fruits aux prisonniers en cachette durant la nuit, comme un songe ou un sursaut d'espoir et de conscience dans le marasme de violence et de déni, ne seront pas épargnées puisque l'on entendra un homme se faire punir pour s'être battu pour une pomme par la suite...
Le film fourmille d'éléments de la sorte et traite son sujet avec autant de respect que de justesse, mais est surtout une véritable expérience cinématographique.