Par son choix de mise en scène extrêmement fort sur La Zone d’Intérêt, le réalisateur Jonathan Glazer ravive dans les mémoires les écrits incendiaires de Jacques Rivette au sujet la représentation des camps de la mort par Gillo Pontecorvo dans Kapo, ainsi que la défiance de Claude Lanzmann, réalisateur de Shoah, à l’encontre de La Liste de Schindler. Lors de la campagne promotionnelle de son film, Glazer déclara ainsi auprès du Dauphiné Libéré qu’« éthiquement, une reconstitution [d’Auschwitz] était inenvisageable », se plaçant dès lors dans la droite ligne morale de Rivette et Lanzmann. Une position qu’entérine ses réserves exprimées au micro de France Inter au sujet du film de Spielberg - tout en reconnaissant également que cette page d’Histoire ne se doit pas d’être « calcifiée » autour d’UNE représentation cinématographique.

Mais quand bien même Glazer échapperai à ce débat vieux de 60 ans par son refus de filmer les camps, sa démarche reste sujette à discussion. En effet, son choix de faire porter au son – cri, tir, ronflement mécanique - la charge d’évoquer l’enfer des camps profite involontairement de toutes les images, d’archives ou de fiction, diffusées jusqu’à présent sur le sujet et archivées dans la mémoire de chaque spectateur. Quelque part donc, si la représentation sonore de la machine de mort édifiée par le Troisième Reich se révèle ici aussi glaçante, c’est qu’elle repose pour parti sur la convocation, en dépit du procédé utilisé, de cesdits images. L’idée n’est évidemment pas de pointer les limites du choix de mise en scène effectué par réalisateur, mais plutôt d’en approfondir les conditions de sa réception. Et puis, Glazer ne peut se résoudre totalement à ne pas montrer le toit des baraquements, la fumée ou le rougeoiement des feux sortant des cheminées, ce dernier donnant par ailleurs naissance à un plan très esthétique et perturbant. Alors, La Zone d’Intérêt, moins irréprochable que La Liste de Schindler ? Pas sûr.

Mais qu’importe ces questionnements esthetico-moraux, pour celles et ceux convaincus que tout sujet mérite d’être représenté si les intentions sont bonnes et la démarche saine (ce dont on ne peut douter chez Jonathan Glazer), La Zone d’Intérêt marquera une date dans leur cinéphilie. Le travail sur le son, multi-récompensé dans les cérémonies internationales, est évidement exemplaire, participant, par effet de contraste, à la représentation de cette banalité du mal. Et si son montage et sa réalisation, son rapport fragmenté à l’espace domestique, son observation clinique du quotidien de cette famille de nazis et son intriguant flashforward final imprime durablement le souvenir de ce film dans la mémoire, le plus frappant reste le regard sociologique qu’il pose sur les époux Höss. Deux êtres muent par leur désir de réussite, voire de revanche sociale, au prix de toute considération humaniste. En définitive, le plus inquiétant dans cette tragique histoire, ce sont les aspirations ordinaires d’individus qui, par certains aspects, nous ressemblent terriblement.

2flicsamiami
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le 17 juil. 2024

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