Dans les champs, l'amour est propre et bien coiffé (mais ne le reste jamais très longtemps)
Il y a des films qu'on déteste par dépit . J'ai tellement aimé le roman de Lawrence quand j'étais adolescente que je m'étais fait une image sauvage, romantique, échevelée, incandescente de Constance Chatterley, une sorte de Cathy Earnshaw du premier émoi sexuel.
Or, dès le début du film, quand j'ai vu Marina Hands toute raide, gauche, guindée, avec sa mâchoire carrée et son petit sourire vaguement godiche de fillette coincée, j'ai détesté ce nouvel avatar du roman sans même l'avoir regardé. Les premières rencontres avec le garde-chasse ne m'ont guère convaincue non plus: si le summum de l'érotisme est le visage de Constance souriant vaguement au plafond sans remuer une oreille pendant que Perkin ahane, je veux bien aller me rhabiller...
Game over.
Et puis j'ai vu ce film à nouveau, en entier cette fois, et j'ai essayé d'oublier ma déception initiale. Et je suis entrée dans l'univers très subtil de Pascale Ferran. Quand on prend la peine de suivre Constance au fil des jours, on est sensible à son évolution physique : elle vacille et perd sa raideur, elle suffoque quand elle aperçoit le dos nu de Perkin en train de se laver, elle s'arrondit en caressant les poussins faisans puis en s'endormant au soleil sur le seuil de la cabane. Au fil des premières rencontres érotiques avec le garde-chasse, son regard prend des reflets humides, ses mains -cadrées de façon presque obsessionnelle- perdent leur tremblement, apprennent à toucher le corps de l'homme désiré, les boucles de ses cheveux s'affranchissent des épingles, son visage devient lumineux et amoureux. Perkin lui-même perd sa rudesse, abandonne le "vous" pour le "tu" et s'ouvre à elle .
Les scènes d'amour sont filmées avec sobriété et délicatesse: magnifique moment que celui où Constance manifeste pour la première fois son désir en mettant la main de Perkin sur son sein, sans un mot, puis le rejoint au pied d'un arbre et découvre le plaisir partagé...
Quelques moments sonnent toutefois moins juste: difficile de transposer sans une pointe de ridicule le magnifique passage où D.H. Lawrence décrit la scène presque dionysiaque où les amants , tels une bacchante et un satyre, s'ébattent nus sous la pluie et couvrent leur corps de fleurs. Par ailleurs, Pascale Ferran a fait de Perkin un être surtout taciturne, gommant en partie -en tout cas dans la version cinéma que j'ai vue- la gouaille du garde-chasse initiant Constance à l'argot sexuel. C'est un choix. Le parc est filmé enfin de façon un peu trop naturaliste à mon goût, loin de l'écriture très poétique de Lawrence. On se croirait par moment dans un documentaire animalier ou une version coquine de l’émission "Silence, ça pousse". Je préfère le lyrisme des "Moissons du ciel" ou de "Heimat".
Mais le film sonne juste dans l'ensemble et m'a donné vraiment envie de relire le roman...
En attendant, quelques passages glanés ça et là dans le livre:
Constance sous la pluie:
"Ses seins effilés et aigus d’animal pointaient et bougeaient à chacun de ses mouvements. Elle avait une couleur d’ivoire dans la lumière un peu verte. Elle remit ses chaussures de caoutchouc et s’élança dehors avec un petit rire sauvage, et les seins présentés à la lourde pluie, les bras écartés, elle se mit à courir de-ci de-là, indistincte dans la pluie, exécutant les mouvements de danse rythmique qu’elle avait appris il y avait si longtemps à Dresde. C'était une étrange silhouette pâle qui s'élevait et retombait, se penchant en sorte que la pluie venait frapper en reflets luisants les hanches pleines, se redressant et s'avançant, le ventre en avant, à travers la pluie, puis s'inclinant de nouveau en sorte que seuls ses fesses et ses reins, pleinement offerts, se tendaient vers lui en une sorte d'hommage, en un rite sauvage d'obédience"
Et ces deniers mots, magnifiques, écrit à Constance par son amant:
"C'est pourquoi, maintenant, j'aime la chasteté. Elle est la paix que procure l'étreinte. J'aime être chaste, tout comme les perce-neige aiment la neige. J'aime cette chasteté parce qu'elle est la pause paisible de notre baise, qu'elle est désormais entre nous comme le perce-neige d'une blanche flamme fourchue. Et quand viendra le vrai printemps, quand viendra le temps de nos retrouvailles, nous pourrons faire l'amour, ranimer la petite flamme, la rendre jaune, brillante, toute brillante. Mais le moment n'est pas venu. Maintenant est l'heure de la chasteté. Elle est si bonne ; c'est un fleuve de fraîcheur dans l'âme. J'aime ce qui coule entre nous. Elle est la fraicheur de l'onde et de la pluie. Comment les hommes peuvent-ils si fastidieusement courir les bonnes fortunes. Quel malheur d'être Don Juan, de faire l'amour comme un forcené sans être capable de trouver la paix, de ne pas pouvoir être chaste dans les frais intervalles de paix, comme au bord d'un fleuve.
Que de mots parce que je ne puis te toucher. Si je pouvais dormir en te serrant dans mes bras, l'encre resterait dans l'encrier. Nous pourrions être chastes ou faire l'amour. Mais il nous faut être pour un temps éloignés l'un de l'autre, et je crois que c'est ce qu'il y a de plus raisonnable. Si seulement on pouvait en être sûr."