Twin Peaks
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A l'aube et au son silencieux de sa montre magique, Paterson se réveille et étreint le corps de Laura puis se lève, déjeune et quitte leur modeste maison au jardin envahi par les herbes folles. Trajet sans fantaisie, immeubles de briques rouges, gare routière sinistre, collègues râleurs. Tous les soirs, après avoir sillonné la ville aux commandes du bus municipal, Paterson rentre chez lui, accueilli par le facétieux Marvin, s'émerveille devant la dernière idée loufoque de sa bien -aimée un peu timbrée, et termine sa journée par la promenade du dogue anglais, prétexte quotidien à un arrêt au bar du coin.
C'est à l'observation quasi naturaliste de la vie quotidienne d'un homme plutôt terne et discret et de son univers banal que semble nous convier au départ Jim Jarmush. Dans le bus, les passagers passent devant le chauffeur sans le voir. Mais lui a un secret. Il les écoute, les regarde, remarque leurs ressemblances, le carnet d'une fillette, le livre d'un voisin de banc, la tristesse d'un amoureux éconduit, le dessin d'une boîte d'allumettes, observateur infatigable et bienveillant du brouhaha de ce monde dont il saisit les petits riens dans ses poèmes.
On ne trouvera dans ce film ni réflexion philosophique sur l'existence ni théorie intellectuelle de la création poétique, ni lyrisme ni romantisme. Mais Jim Jarmush a su saisir avec une incroyable délicatesse la façon dont Paterson accueille l'existence, s'en nourrit et en dit les moments éphémères dans son petit carnet.
Mieux encore, son regard doux enchante le monde qui devient lui-même poème sous la caméra de Jim Jarmush: les apparitions de jumelles, les rencontres troublantes qui évoquent ces "hasards objectifs" décrits par André Breton, les échos sonores (waterfalls, Paterson, le bus qui explose...) deviennent autant de rimes internes, faisant du film un grand poème cinématographique dont chaque journée serait en quelque sorte une strophe.
Et on ne peut s'empêcher de se dire qu'il est là peut-être le secret du bonheur de Paterson: être pleinement présent au monde à chaque instant, accueillir les rencontres avec reconnaissance, aimer quotidiennement la peau de celle qui se réveille à ses côtés, s'émerveiller, voir la beauté d'une tourte chou de Bruxelles/cheddar et d'un rideau de douche peinturluré, et sans aucune violence, "arracher la joie aux jours qui filent".
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le 24 janv. 2017
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