L’histoire est simple : des brigands ayant dérobé 250 kilos d’or partagent avec une artiste une planque surplombant une mer d’azur. Lorsque des invités inattendus débarquent, dont deux flics bien déterminés à arrêter les voyous, le lieu idyllique devient le théâtre d’un véritable carnage. Ce qui sur le papier s’apparente à un polar méditerranéen se transforme, dans les mains des réalisateurs Bruno Forzani et Hélène Cattet, une proposition radicale et unique, un ballet de balles et de chair entremêlé de magnifiques envolées lyriques.
Après avoir (dés)incarné les codes du giallo dans leurs deux premiers longs-métrages (Amer, 2009 ; L’Étrange couleur des larmes de ton corps, 2013), le duo de réalisateur poursuivent avec Laissez bronzer les cadavres ! leur exploration du cinéma d’exploitation italien des années 1960 et 1970. En adaptant le roman homonyme de Jean-Patrick Manchette, les cinéastes s’aventurent cette fois-ci dans les genres du poliziesco et du western spaghetti, invoquant les œuvres de cinéaste tels que Castellari, Leone ou encore de Lenzi.
Il serait toutefois fort injuste de résumer Laissez bronzer les cadavres ! à une liste infinie de citations. Bien qu’ils nagent dans un torrent de références (quelques exemples se trouvent dans notre interview à lire ici), Forzani et Cattet trouvent leur propre langage et livrent un film ayant une forte identité. La minutie extrême de leur travail, signature de leurs premières œuvres, apporte une nouvelle grammaire aux fusillades qui structurent le film. Découpage maniaque, musique éclatée, surimpressions, décalages sonores : les réalisateurs se servent de tous les instruments à disposition pour composer une mélodie filmique explosive – ce que suggère d’ailleurs l’exclamation du titre – et puissamment organique.
Fiévreux, le film s’embrase lors de ses moments oniriques et brûle la rétine par sa bravoure esthétique. Les images kaléidoscopiques d’une femme fouettée de poudre dorée, ou celles d’une autre, mitraillée, qui voit son corps se dévoiler à mesure que sa robe se dissout dans une avalanche de plomb, marquent par leur créativité et leur unicité. En fondant les différentes formes d’art, Laissez bronzer les cadavres ! s’affranchit de l’enveloppe filmique et touche à une certaine métadiscursivité. À l’image des personnages qui tutoient leur fétichisme dans leurs hallucinations, les deux réalisateurs caressent le leur à travers leur film. Cette mise en abyme est d’ailleurs explicitée par la place qu’occupe le personnage de Luce, l’artiste performeuse. Le lieu, représenté à plusieurs reprises par ses photos aériennes sur lesquelles grouillent des fourmis, devient un théâtre distancé, élevant le drame au rang d’happening artistique et, de fait, le film à celui d’œuvre d’art contemporain.
Forzani et Cattet ont une soif de cinéma et abreuvent généreusement tous ceux qui la partagent avec eux. La radicalité de leurs expérimentations sensorielles risquera assurément de laisser certains spectateurs sur le carreau, mais procurera à tous les autres un plaisir cinématographique que peu de réalisateurs actuels sont capables d’offrir. Une maestria à voir absolument sur grand écran.
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