20 ans séparent Le Jour des morts-vivants du retour du maître George A. Romero à la réalisation/écriture d'un film de zombies. 20 années occupées par seulement 4 films, sans compter celui-ici. Pas les plus prolifiques de sa carrière, donc. Ce n'est ainsi pas forcément pour rien s'il revient, à l'occasion du lancement du nouveau cinéma d'horreur des années 2000, vers ce qui l'a fait connaître pour se relancer sur le devant de la scène.
Trois ans après le peu réputé Bruiser, il décide d'effectuer un bon à 180 degrès et de remettre en scène des zombies crados, lents, dangereux par leur nombre et le gore abusif de leurs attaques. Volontairement vieux jeu, Land of the Dead pourrait être qualifié de divertissement fantastiquement rétrograde : les zombies sont des antiquités, les soldats/personnages principaux des idiots congénitaux, le scénario simpliste et qui semble ne servir qu'en tant que prétexte au développement des thématiques sociales de l'auteur.
Toujours très engagé, Romero décide ici d'aborder une idée récurrente dans l'univers des films d'horreur, en particulier ceux de zombies : l'homme, bestial et cruel, devient le bourreau de ses prédateurs épouvantables, au point de faire passer les ennemis pour, en quelque sorte, les véritables gentils de l'histoire. La réflexion, pas forcément des plus poussées, ouvre la voie à de très jolies images où l'on sent que Romero, excédé par les concurrents réalisateurs d'horreur (l'année d'avant, James Wan a larguè une bombe dénommée Saw), propose un travail de démonstration de ses capacités de réalisateur.
Forcément très expérimenté, il maîtrise son oeuvre de bout en bout, de ses dialogues à la manière qu'il a de donner des cours de gore à toute une nouvelle génération de jeunes réalisateurs en quête de devenir. S'il nous présente des décors pas toujours très convaincants (le baraquement de Dennis Hopper typique de la science-fiction du début des années 70), il se rachète par sa façon d'interagir avec, de jouer avec les cachettes pour faire sauter sur ses personnages idiots des zombies bien plus malins.
C'est par cette ironie des morts plus intelligents que les vivants que Romero caractérise son film; du reste, on ne retiendra qu'une version modernisée de ce qu'il faisait depuis un peu moins de quarante ans, certes plus explosive et généreuse en morts variées mais finalement peu originale et neuve. Simple répétition de ce qu'il a fait jusqu'ici, Land of the Dead jouit surtout d'une efficacité hors-pair qui manquait justement aux premiers films du réalisateur (hormis l'excellent Zombie, qui surpassait déjà l'action du Jour des morts-vivants), sans pour autant tenter de créer de nouvelles manières d'aborder visuellement le mythe du mort-vivant.
Ainsi, le film est surtout sympathique par nostalgie, parce qu'il est arrivé à un moment de crise dans le cinéma d'horreur : face à la déferlante des films d'infectés ultra-rapides et lisses (la sortie 3 ans plus tôt du très bon 28 jours plus tard aura changé la donne pendant presque dix ans) couplé au retour des films de maison hantée/esprits/démons (Sixième Sens et Les Autres se posent comme les références à contourner), Romero est revenu donner un cours de ce que doit être un film d'horreur : une petite production (16 millions de dollars) faîte par des passionnés (Romero et Savini, dont l'apparition remarquée est remarquable), pour des passionnés (le public et Zack Snyder, auquel il montre comment aurait pu être son Dawn of The Dead s'il avait décidé de plus poser sa caméra sur des zombies lents et affamés).
C'est pour cela qu'il marque autant : parce qu'il est en pleine frontière entre techniques modernes de maquillages et représentation vieillissante d'un mythe démocratisé depuis bien trop longtemps pour continuer de faire pleinement recette. Il est d'ailleurs amusant de remarquer à quel point le World War Z de Marc Forster sorti huit ans plus tard est l'antithèse même du travail de George Romero, à quel point il souille tous les principes de l'auteur pour rendre le genre grand public et lucratif. Lisse, ultra-spectaculaire et sans une goutte de sang, fait à grande échelle sur un budget immense qu'on estime entre 190 et 269 millions de dollars.
A contrario, Land of the dead, outre ce que l'on a évoqué plus haut, se démarque de ce qui se fera à côté par son action justement progressive, qui commence très simplement sur un petit groupe de mercenaires idiots pour finir dans un bain de sang à échelle de ville absolument chaotique sans être pour autant bordélique. Remercions la caméra posée de l'auteur qui filme magnifiquement bien ses zombies sortir de l'eau (remercions aussi Pirates des Caraïbes) et réussit à instaurer une tension lors de la grande attaque sans forcément avoir recours aux grands renforts musicaux comme à la caméra parkinsonienne qui ne parvient jamais à poser son cadre.
Trop expérimenté pour céder à la facilité, il présente cette finalité dès le début, comme s'il prenait un malin plaisir à poser les bases et sa mise en scène pour les faire évoluer toujours aussi posément, avec classe et expérience. A cela s'ajoute le développement presque animal de ces zombies qui apprennent, en dignes héritiers de ceux de Zombie, à réapprendre les outils des hommes. A présents capables d'aligner culture des moyens et finalité de l'envie, ils prennent le pas vers l'appellation de civilisation.
C'est d'autant plus intéressant que le leader de la bande, Big Daddy (un nom très fin, j'en conviens), est construit en écho au touchant Bud du Jour des morts-vivants, et qu'il connaît une évolution à peu près similaire pour un résultat explosif, bien que gâché par les sabots qui amènent la trêve faîte par le monolithique Simon Baker, personnage principal qu'on aurait bien vu remplacé par John Leguizamo, acteur le plus sympathique et marquant du film.
Et si l'on dit souvent que les gens ne changent pas, on reconnaît à Land of the Dead les mêmes défauts que pour ses précédents films : alors qu'il écope ici d'acteurs professionnels à la réputation affirmée/en voie d'acquisition, il ne sait toujours pas les diriger et laisse à l'écran des jeux monotones insupportables ou des surjeux incontrôlés absolument ridicules, plus proches du nanar que de l'entreprise sérieuse qu'il est censé représenté.
Loin d'être fait pour innover (Romero laissait surement cela aux petits nouveaux prometteurs), Land of the Dead réussit sa mission première : ramener sur le devant de la scène le maître du genre en montrant qu'on ne fait pas mieux que celui qui aura démocratisé une figure horrifique devenue aujourd'hui mythique et part importante de la culture populaire mondiale (jusqu'à aller s'étendre en Asie avec le décevant Dernier Train pour Busan).
George Romero, le Papy qui faisait de la résistance.