Si l'acharnement de la réalisatrice à ancrer son film dans un cadre européen frôle parfois le ridicule, elle parvient en revanche à toucher juste lorsqu'il s'agit de dépeindre ces jeunes femmes tout en nuances. Grâce à une direction d'acteurs impeccable, j'ai été profondément ému par ce quatuor de femmes.

Fanny, 17 ans, est une jeune fille en quête d'elle-même. Timide et sensible, elle a du mal à se faire des amis de son âge. Lorsqu'elle part en Allemagne pour un séjour linguistique, elle rencontre sa correspondante Lena, une adolescente passionnée de politique. Troublée par cette rencontre, Fanny est prête à tout pour plaire à Lena.

Critiquer un film, c’est parfois jouer les mauvaises langues. Commençons donc par là pour finir sur une note positive, car le film m'a vraiment plu. Le principal reproche que l'on pourrait adresser à la cinéaste française, c'est son insistance à inscrire son film dans un contexte européen, dans l’Histoire avec un grand H, et dans le cadre du fameux couple franco-allemand.

Fanny habite Strasbourg. Ces deux parents (dont sa mère italienne) sont traducteurs au parlement européen (comme l’indique le générique, l’Europe a d’ailleurs en partie financé le film). Les cours auxquels assistent les deux jeunes femmes sont évidemment centrés sur l’union européenne et l’histoire récente des deux pays. On y débat des différences culturelles entre la France et l’Allemagne. Toute cette insistance, assez lourde au fond, m’a fait sourire et m’a fait penser à une copie de bonne élève sur laquelle le professeur aurait noté « Travail soigné ». Il y a en effet dans cette insistance appuyée quelque chose d’un peu scolaire justement ou peut-être du lobbying pour l’UE ou l’Education Nationale.

En revanche, le film frappe par sa capacité à faire le portrait fin de deux jeunes femmes assez différentes. Le contraste entre Lena et Fanny est mis en avant, l'une étant plus engagée et idéaliste, tandis que l'autre est plus réservée et complexe. Fanny, avec sa timidité, son mal-être et ses tentatives de s'intégrer, semble incarner une forme de vulnérabilité plus nuancée que Lena, qui porte le fardeau de l'histoire allemande avec plus d'assurance.

C’est peut-être le personnage de Fanny qui m’a le plus ému. Car il est plus complexe. Le personnage de Lena est intéressant mais plus facilement lisible. Claire Burger réussit à capturer avec finesse le mal-être de Fanny : le harcèlement qu’elle subit au lycée, sa tentative désespérée de mettre fin à ses jours, et ses mensonges qui traduisent une grande vulnérabilité. D'un point de vue psychologique, le film se distingue par sa subtilité, une rareté sur les écrans aujourd'hui.

Ce qu’il y a également de très beau, c’est la relation de ces deux jeunes femmes avec leur mère respective. Langue étrangère est avant tout un film de femmes, les hommes y occupant des rôles secondaires. Claire Burger montre deux relations mère-fille complexes à la fois tendues et fortes. Ce qu’il y a de fort, c’est que ces deux relations sont le reflet inversé l’une de l’autre. L’allemande Lena s’inquiète pour sa mère dépressive. Mais pour Fanny, c’est plutôt sa mère qui se ronge les sangs pour sa fille. La mère allemande et la fille française semblent toutes deux rongées par un certain mal-être.

La direction d’actrices est assez étonnante de précision. Les deux jeunes actrices Lilith Grasmug et Josefa Heinsius sont épatantes de naturel et de justesse. Mais c’est l’interprétation de Chiara Mastroianni qui surprend. J’aime beaucoup cette comédienne aux interprétations très intériorisées, en retrait. Ici, elle semble enfin extérioriser son jeu. Il faut voir la scène où elle explose et engueule sa fille.

La musique techno de Rebekka Warrior souligne l’intention de la réalisatrice d'ancrer le film dans une contemporanéité très marquée, parfois à outrance. Mais la finesse du portrait psychologique des personnages et la puissance des relations qu'entretiennent les jeunes filles avec leurs mères fait oublier les ricanements initiaux.

Noel_Astoc
7
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le 3 nov. 2024

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Noel_Astoc

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