Un soir de 1993, mes parents me dirent que des amis à eux, que je ne connaissais pas, les avaient invités pour un dîner à Castres. La présence du petit Vincent était exigée, à son grand regret. Pendant tout le trajet, je m’efforçais de faire suffisamment la gueule pour manifester mon mécontentement auprès de mes parents. Je me souviens encore de ce moment où, après avoir laissé notre voiture sur un parking en pleine ville, nous marchions sur une allée le long du coche d’eau menant vers un grand bâtiment devant lequel s’étaient attroupées des dizaines de personnes. Je n’y prêtai que peu d’attention, tout entier tourné vers mon mécontentement de gamin capricieux. Je ne remarquai même pas encore l’affiche géante qui recouvrait une partie de la façade de ce bâtiment. C’est à ce moment-là que mon père s’est tourné vers moi, et m’a dit avec un de ses sourires facétieux : « J’ai oublié de te dire que l’ami qu’on va voir s’appelle Arnold ».

Je n’ai pas percuté tout de suite. L’idée qu’un des amis de mon père puisse s’appeler Arnold (plutôt qu’Arnaud) m’amusa quelques secondes avant que mes yeux ne se lèvent enfin sur le cinéma devant lequel nous nous arrêtions… et sur la superbe affiche géante de Last Action Hero qui en recouvrait la majeure partie de la façade.

Je pense que mes parents ont eu alors tout le temps d’apprécier mon expression de surprise à ce moment-là. Et moi je m’émerveillai à l’idée de découvrir le nouveau film de mon acteur préféré pour la première fois sur grand écran.

Car oui, à onze ans, j’étais un grand fan des films de Schwarzy. Terminator 1 et 2, Predator, Total Recall, Commando, Running Man, Jumeaux, Double Détente, Conan le Barbare et même le Destructeur, tous ses films, je les adorais.

Alors imaginez-vous donc, non seulement j’allais voir le nouveau film de mon idole mais j’allais aussi le voir sur grand écran. J’avais déjà été au ciné quelques années auparavant, dans une petite salle, pour y voir Astérix et le coup du menhir. Mais l’expérience avait été peu mémorable, d’autant plus que j’avais passé l’essentiel du film à discuter avec un de mes amis, à changer de siège et de rangée juste pour rigoler, comme n’importe quel gamin qui ne peut pas tenir en place.

À l’inverse de cette première, un mardi soir, de Last Action Hero. La salle était géante (du moins dans mon souvenir), bondée de monde, pas un seul siège vide en vue. Assis entre mes parents, j’admirai alors l’écran géant. Et je me souviendrai toujours de ces premières minutes de film où, après un plan d’ouverture voyant une voiture de flic percuter l’objectif, Schwarzy/Jack Slater débarque devant l’école cernée de flics et avance d’un pas décidé vers le bâtiment, ignorant royalement les ordres de ses supérieurs. De ce flic à l’air stupide à qui Slater demande s’il « aime les omelettes ». De l’éclat de rire général qui s’ensuivit dans la salle lorsque Slater lui « écrasa les œufs ». Du regard circonspect de l’Éventreur lorsque Slater jette toute son artillerie (« T’as rien d'autre dans tes poches ? »). A chaque réplique, à chaque gag, la salle entière éclatait de rire. Et mon père à côté de moi, riait comme je ne l’avais pas vu rire depuis longtemps. Mieux encore, il riait avec moi.

C’est bien pour ça que ça reste un de mes plus beaux souvenirs d’enfance et ça explique pourquoi ce film restera toujours dans mon cœur, non seulement comme ma meilleure expérience au ciné mais aussi comme une des meilleures comédies fantastiques qu’il m’ait été donné de voir. Car impossible alors pour l’enfant que j’étais (solitaire, introverti et cinéphage) de ne pas m’identifier, au moins un petit peu, au petit Danny Madigan, qui passait l’essentiel de sa scolarité à faire le mur, à rêver de films d’action et aux exploits fantaisistes de son idole.


À partir de là, on pourra penser qu’il m’est impossible de critiquer objectivement le film de John McTiernan. D’autant plus que je sais à quel point certaines personnes le considèrent comme une banale comédie fantastique, voire carrément comme un film raté. Et bien sûr, je ne suis pas d’accord avec eux.

Last Action Hero est une œuvre charnière, non seulement dans la filmographie de sa vedette et dans celle de son réalisateur mais aussi dans la production hollywoodienne de son époque. Au début des années 90, l’essentiel du box-office se résumait à la rivalité Schwarzenegger/Stallone. Quand l’un sortait un film, l’autre en faisait de même. Il y avait bien sûr d’autres films à succès. En 1993, c’est surtout Jurassic Park qui décrocha la timbale et modifia à jamais l’importance des effets spéciaux numériques à l’écran. Mais loin des dinosaures photo-réalistes de Spielberg, il s’agit ici surtout de parler d’un genre, le film d’action, qui aura monopolisé les écrans durant l’essentiel des années 80 jusqu’à ce que Schwarzy (avec le délirant Last Action Hero) puis Stallone (avec le plus classique Cliffhanger et le très amusant Demolition Man) ne signent la fin de l’âge d’or de l’actioner musclé (ou plutôt de sa première vague).


Au début des 90’s donc, un duo de scénaristes Adam Leff et Zak Penn imaginent une intrigue conceptuelle qui opposerait un véritable action man type John Matrix au monde réel. Le titre du script : Extremly violent. Et comme d’évidence, ils pensent naturellement à Schwarzenegger lorsqu’ils écrivent le personnage de Jack Slater. A cette époque, la star autrichienne roule sur l’or et enchaine les succès. Les cartons pleins de Total Recall puis de Terminator 2 (et le succès d’Un flic à la maternelle) lui ont permis de devancer son rival au box-office et de devenir la star la plus bankable d’Hollywood. Mieux encore, Schwarzy est si sûr de lui qu’il arrive à manipuler un agent de manière à inciter Stallone à accepter un rôle qu’il croyait être réservé à la star autrichienne (le calamiteux Arrête où ma mère va tirer) et qui démolira un temps la crédibilité de son rival. Comme je l’ai déjà dit, je considère que Schwarzenegger, en tout cas le Schwarzy de l’époque, a longtemps eu le nez plus fin que Stallone pour savoir dénicher les bons projets. Et surtout, il n’avait jamais peur de jouer avec son image en se tournant en dérision dans des comédies inattendues (Jumeaux, Un flic à la maternelle). Il suffit de voir les Vin Diesel, les Dwayne Johnson et les Dave Bautista cachetonner eux aussi au moins une fois dans une comédie du type Un flic à la maternelle (Baby Sittor, Fée malgré lui, Mon espion) pour comprendre que leurs agents leur ont tous conseillé de prendre pour modèle cette alternance des genres (actioner/comédie) initiée par Schwarzenegger dans les années 80.


Quand il reçoit le script des scénaristes, Schwarzenegger est donc naturellement ravi. Ce scénario original lui permet de concilier ses deux genres de prédilection en un seul film et de tourner en dérision son image d’action hero pour mieux se rapprocher de son public. Il décide d’ailleurs lui-même très vite de réintituler le script Last Action Hero, comme un aveu de sa part de renoncer progressivement au genre qui l’aura consacré, fatigué de son rôle d’éternel "massacreur" à la répartie cassante. L’acteur se tourne alors vers John McTiernan qui l’avait déjà dirigé six ans auparavant dans Predator pour réaliser ce nouveau film. Sortant de l’échec critique du pourtant très bon Medicine Man, McTiernan a terriblement besoin d’un succès pour retrouver sa crédibilité à Hollywood. Il voit alors dans ce nouveau scénario une parfaite occasion de se moquer du genre qu’il a pourtant contribué à populariser via Die Hard et Predator. Le script est alors confié à David Arnott et au scénariste-star Shane Black (avec lequel avaient déjà collaboré Schwarzy et McTiernan sur Predator) pour qu’ils en retravaillent les scènes d’action et les dialogues et que Black y appose sa touche humoristique et cassante. Le légendaire William Goldman (Marathon Man) finalise le script en approfondissant la relation entre Danny et le projectionniste ainsi que son rapport avec Jack, notamment dans le dernier acte, la "partie réelle" du film.


Plusieurs vedettes du grand écran et du théâtre sont approchées pour constituer le casting dont le grand F. Murray Abraham en ripoux verbeux, le non moins méritant Robert Prosky en vieux projectionniste nostalgique, la trop rare Mercedes Ruehl en jeune veuve courage, le vénérable Art Carney (dans son dernier rôle) en cousin « issu de germain » Frank, la légende Anthony Quinn en caricature de mafioso, le noble Sir Ian McKellen en Faucheuse d’Ingmar Bergman, la grande gueule Frank McRae pour un rôle de commissaire braillard très proche de celui qu’il incarnait dans 48 heures et le très inquiétant Tom (Caïn) Noonan pour incarner l'Éventreur. Quant aux caméos, ils valent à eux seuls le détour : l’ami culturiste de Schwarzenegger, Franco Columbu, est mentionné comme réalisateur du film fictif Jack Slater IV; l’épouse de Schwarzenegger, Maria Shriver, critique l’attitude de son mari à l’avant-première de son film; Tina Turner apparait en mairesse de Los Angeles; Little Richard, Chevy Chase, Damon Wayans, James Belushi, M.C. Hammer et Jean-Claude Van Damme apparaissent dans leurs propres rôles (et même, si vous cherchez bien, Timothy Dalton); Sharon Stone et Robert Patrick retrouvent quant à eux, le temps de deux secondes, leurs rôles respectifs de Catherine Tramell et du T-1000. Même Sylvester Stallone, éternel rival de Schwarzy, apparaitra, à son insu, au détour d’un photo-montage le présentant à la place de Schwarzenegger sur l’affiche de Terminator 2 (le long conflit ayant opposé les deux stars du muscle étant alors en passe de se résoudre à coups de clins d’œil plus conviviaux). Le rôle du petit Danny Madigan sera confié au jeune Austin O’Brien, déjà rôdé à l’exercice hollywoodien, puisqu’il jouait un an auparavant dans Le Cobaye aux côtés de Jeff Fahey et de Pierce Brosnan. Reste le rôle du bad guy, élément essentiel à tout bon film d’action et qui n’a jamais fait défaut aux films de McTiernan (les frères Gruber). Pour incarner le très cynique et flegmatique porte-flingue de la pègre Benedict, McTiernan pense en premier lieu à Alan Rickman qu’il avait déjà merveilleusement dirigé dans Piège de cristal. Mais, craignant de se voir cantonné aux rôles de vilains de service après Robin des bois, prince des voleurs, l’acteur anglais a plutôt envie de décliner l’offre et demande un cachet très important. Le rôle est ensuite proposé à Timothy Dalton qui, lui non plus, n’est pas intéressé. McTiernan se tourne alors vers un acteur tout aussi talentueux que Rickman et Dalton mais moins réputé, Charles Dance. Issu de la Royal Shakespeare Company et connu pour avoir incarné une des meilleures versions du Fantôme de l’opéra dans un téléfilm anglais de 1990 puis joué le bad guy de Golden Child, l’enfant sacré du Tibet face à Eddie Murphy, Dance vient surtout de se faire remarquer aux côtés de Sigourney Weaver dans le mésestimé Alien 3 de David Fincher. Un choix parfait pour le rôle de Benedict, d’autant plus que Dance demande un cachet bien moins important que Rickman et en fera d’ailleurs un running gag sur le tournage de Last Action Hero, le futur Tywin Lannister de Game of Thrones y arborant un T-Shirt sur lequel il aura fait imprimer en grandes lettres « I’m cheaper than Alan Rickman ! » => « Je suis moins cher qu’Alan Rickman ! ». Le tournage se déroule en grande partie à Los Angeles et quelques prises sont faites à New York pour les besoins du début du film et de l’acte final. Puis le film sort en grande pompe sur les écrans du monde entier, date à laquelle votre serviteur s’émerveillait devant un grand écran du Tarn. Et se prend une énorme gamelle aux box-office américain, le public yankee ayant du mal à adhérer à la mise en abyme du film.


Last Action Hero est pourtant un des rares exemples de pop corn movie méta-textuel de l’époque après L’Histoire sans fin et Gremlins 2, un genre-concept qui sera plus tard particulièrement prisé dans les années 2010 et 2020 (preuve en est le récent Matrix Resurrections). Trop en avance sur son temps, le film de McTiernan se fait ironiquement distancer quelques mois plus tard par celui de Stallone, Cliffhanger, un sous-Die Hard bien plus traditionnel dans son approche du genre (et réalisé par Renny Harlin, celui qui recycla la technique de McTiernan dans Die Hard 2) et se fait mettre en pièces par le carton planétaire du Jurassic Park de Steven Spielberg. Pour la première fois depuis quinze ans, Schwarzenegger fait face à un échec public et (bien souvent) critique et son image de superstar bankable s’en trouve fragilisée. Un four qui déstabilise la star et le laisse à la limite de la dépression. Toujours très pragmatique, l’acteur se tournera alors vers son ami James Cameron afin que celui-ci accepte de lui réaliser l’actioner True Lies (remake du médiocre La Totale de Claude Zidi) qui lui permettra un an plus tard de renouer avec le succès en assumant ici la dimension spectaculaire de ses scènes d’action. Mais du propre aveu de Schwarzy, Last Action Hero marquera un tournant dans sa carrière. Tout aussi bien réalisé et pertinent soit-il, il amorcera la fin de sa parfaite success-story hollywoodienne, l’acteur se retrouvant à alterner deux films d’action bourrins à succès (True Lies, L’Effaceur) avec deux comédies plus ou moins populaires (Junior, La Course au jouet) avant de se vautrer complètement dans l’absence de bon sens avec l’ignoble navet Batman and Robin en 1997. Fragilisé par une double opération à cœur ouvert, Schwarzenegger mettra alors un certain temps à revenir aux affaires. La suite de sa carrière cinématographique ne sera qu’une succession de tentatives maladroites pour renouer avec les ingrédients de ses vieux succès (La Fin des temps et Terminator 3 décalquant la mécanique de Terminator 2, À l’aube du sixième jour plagiant les éléments de Total Recall, plus tard Sabotage adaptera à la sauce thriller le jeu de massacre viril de Predator…) avant que la star, lassée du cinéma, ne se tourne complètement vers la politique en se voyant élu gouverneur de Californie de 2003 à 2011. Pourtant Schwarzenegger n’en démordra jamais, jusque dans son autobiographie il le répétera, Last Action Hero reste à ses yeux un bon film.


ET PUTAIN QU’IL A RAISON !


Comment un aussi film aussi génial n’a-t-il pas rempli les caisses ?


Un de mes souvenirs permettra peut-être d’apporter un élément de réponse. Lorsque le film sortit ensuite en vidéo, un moniteur le projeta dans la MJC où j’allais trainer gamin. La première séquence d’action accrocha littéralement tous mes camarades qui n’avaient pas encore vu le film. Jusqu’à ce que le concept derrière cette intro apparaisse clairement au moment où l’image se floute et révèle un jeune Danny Madigan assis dans une salle de cinéma. La scène d’action, tout aussi improbable fut elle (le coup de pied dans les roubignoles qui décolle du sol l’agent du SWAT, le talkie-walkie réduit en miettes d’une main, la hache frôlant de peu le visage de Slater…) restait passionnante à suivre par des gosses jusqu’au moment où, déception, le réalisateur nous révèle qu’il ne s’agissait que d’un film dans le film. À ce moment-là, dans ma petite MJC du fin fond du Tarn, je me souviens clairement qu’un de mes petits camarades s’est écrié : « C’est nul ! C’était qu’un film ! ». Et moi de lui répondre simplement : « Oui, comme celui que tu regardes mais en plus con. »


Bon j’avoue, j’ai failli me faire un ennemi mortel ce jour-là mais reconnaissez que sa réflexion n’avait aucun sens. A ses yeux d’ado, la scène d’action perdait toute sa valeur car elle n’était pas réelle dans le film. Je suis sûr que les réactions seraient les mêmes aujourd’hui si Vin Diesel ou Dwayne Johnson nous révélaient soudain à l’écran que leurs courses-poursuites fastandfuriousiennes dans des bolides sautant d’immeubles en immeubles étaient en fait des délires faisant partie d’un film dans un film, que Dom Toretto et sa bande n’étaient en fait que des héros attendant leurs Danny Madigan. La bêtise des films d’action aux séquences improbables que s’amusait à épingler McTiernan avec Last Action Hero est ironiquement devenue la norme du cinéma d’action hollywoodien actuel. Ce qui était filmé comme une parodie dans le film mal-aimé de McTiernan est présenté comme un morceau de bravoure au quasi-premier degré dans un Fast and Furious, un Mission Impossible, un John Wick aux séquences pourtant trop irréalistes pour convaincre… En gros le succès des action movies d’aujourd’hui répond au four de Last Action Hero à sa sortie. Le cinéma d’action est un médium qui fait rêver, toute tentative de dérision en son sein est sévèrement accueillie. D’ailleurs, plus personne ne s’est vraiment essayé de désacraliser le genre depuis McTiernan en 1993.


En cela, Last Action Hero se moquait non seulement des excès du cinéma d’action hollywoodien des années 80 (y compris de ceux de Schwarzy et de McTiernan => voir la référence à Die Hard faite par Danny Madigan) mais il préfigurait aussi, peut-être involontairement, les débordements what the fuck des actioners d’aujourd’hui. A savoir que le propos du film ciblait autant la nécessité de faire rêver par le biais de l’écran (Danny Madigan n’a que le cinéma pour échapper à sa morne réalité) que celle de se moquer d’un genre qui, aux yeux de McTiernan, avait grandement besoin de se renouveler.


D’un point de vue conceptuel, le film adopte donc une approche inédite pour son époque et se propose non seulement de magnifier sa star dans des morceaux de bravoure aussi improbables que spectaculaires (l’intro du film, les funérailles de Léo the Prout) que de mettre en exergue les écueils d’un genre qui ne faisait alors plus que de se répéter dangereusement. À ce titre, John McTiernan est clairement à distinguer d’un faiseur comme Renny Harlin, le cinéma d’action en lui-même ne l’intéressait que s’il pouvait y apporter un regard nouveau ou en décortiquer les mécanismes. Avec Predator par exemple, McTiernan prenait le colossal et badass Schwarzenegger de Commando et le fragilisait face à une créature autrement plus forte que lui. Un an plus tard, dans Piège de cristal, McTiernan révolutionna le cinéma d’action hollywoodien dans sa manière de filmer l’espace, de resserrer ses unités de temps et de lieu et de démolir l’archétype d’action hero musculeux à la mode des 80’s via la proposition d’un anti-héros au physique plus lambda. Avec Une journée en enfer (Die Hard with a vengeance pour les puristes), il reprenait les rênes de la franchise qu’il avait initiée en imposant un filmage à hauteur d’homme, caméra au poing, une alternative au classicisme des actioners 80’s et qui influencerait plus tard autant Spielberg sur Il faut sauver le soldat Ryan et La Guerre des mondes que Paul Greengrass sur les Jason Bourne et Joe Carnahan sur Narc (Michael Bay viendra juste après Die Hard 3 pour proposer sa méthode de filmage dans Bad Boys et Rock : une variation stupide de celle de McTiernan, uniquement basée sur un montage épileptique, une caméra remuante et des séquences d’action illisibles).


Entre Piège de cristal et Une journée en enfer : Last Action Hero. Un film qui fait parfaitement la jonction dans l’évolution du style du réalisateur. Là où les séquences du "film dans le film" sont souvent filmées de manière outrancièrement parodique (zoom accéléré sur le flingue de Benedict, panoramiques californiens, explosions de voitures injustifiées et courses-poursuites aux cascades improbables => McTiernan se moquait déjà de ce que menaçait de devenir le genre, c’est à dire de notre cinéma d’action actuel) et laissent transparaitre des prises de vues plus immersives dès l’intrusion de Danny dans la voiture de Slater, toute la partie du retour à la réalité constituant le dernier acte à New York sera filmée de manière plus immersive avec une photographie plus sombre, des cadrages a priori moins soignés dans les scènes d’action, un filmage parfois en caméra portée (la poursuite du taxi dans les embouteillages) préfigurant la méthode adoptée par le cinéaste dans son futur Die Hard 3.


À ce titre, il est important de remarquer que McTiernan met un point d’honneur à raconter le film du point de vue de Danny, sa caméra jouant beaucoup des contre-plongées et se mettant souvent à hauteur d’enfant. Le petit Danny reste ainsi le principal référent du spectateur et son background (sa mère évoque le décès prématuré de son père) est tout juste esquissé pour expliquer l’ami (ou la figure paternelle de substitution) que l’enfant voit en Jack Slater. Vu sa fascination pour la violence de son héros (« Tais-toi et tue-le ! »), Danny projette dans les actes de Slater ses propres fantasmes de justice face à une réalité loin d’être aussi évidente (la confrontation avec le junkie qui lui offre l’opportunité de le tuer en légitime défense). Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le film confronte à la fin du film le petit Danny à la personnification de la Mort elle-même : le monologue de Danny face à la Faucheuse (« Celui-là, vous l’aurez pas ! Il y en vraiment ras-le-bol de vous, Monsieur : Toi tu restes, toi tu pars… Et bien cette fois, c’est moi qui vous le dis, celui-là (Jack) il reste ! ») suffit à lui seul à expliquer l’attachement de Danny à son héros par l’absence d’un père qui lui a été enlevé trop tôt.


Ainsi, quand on me dit encore aujourd’hui que Last Action Hero est un mauvais film, je deviens fou. J’attraperais presque n’importe quoi qui traînerait autour de moi pour châtier l’impudent(e) qui ose me sortir cette ineptie (je plaisante, jamais de violence, juste des insultes…). Je comprends aisément l’abattement qu’a dû ressentir Schwarzenegger en apprenant l’échec critique de son film et j’ose à peine imaginer l’état d’esprit dans lequel devait être McTiernan. Car même si l’on fait abstraction de l’identité de son réalisateur et des trésors d’ingéniosité et de provocation dont il a fait preuve dans ce seul film, Last Action Hero peut aussi simplement s’apprécier comme une excellente comédie d’action fantastique. Certes, le film n’est pas exempt de petits défauts, McTiernan abuse parfois des gros plans ainsi que des travellings et la course-poursuite du début du film manque de punch. Mais les acteurs sont tous très bons (même Schwarzenegger, qui prend ici des expressions à la Eastwood, n’avait pas joué aussi bien depuis Total Recall), les dialogues sont bien écrits et les répliques souvent hilarantes, le scénario propose une trajectoire initiatique pouvant parler à tous les (grands) enfants qui conservent leur imaginaire, les morceaux de bravoure ne manquent pas et la réalisation déploie des trésors d’inventivité.


Premier exemple (oui, j’emmerde l’argumentation ordonnée. Quand un magazine de cinéma me paiera pour écrire trois paragraphes sur un film que le rédac-chef m’ordonnera d’aimer, là je soignerai la présentation de mon argumentaire) :


Premier exemple donc : ce plan séquence a priori anodin suivant le speech de Robert Prosky sur Houdini, alors qu’habillé en groom il s’apprête à offrir le ticket magique à Danny. Ce plan séquence témoigne d’une maîtrise incontestée des bases de la mise en scène. Au lieu de filmer ça sous différents angles avec trois caméras comme le ferait n’importe quel tâcheron hollywoodien (Bay…), McTiernan filme ça en léger travelling-séquence et s’efface complètement derrière sa caméra pour mettre en valeur le jeu de son admirable comédien, Robert Prosky. Il faut d’ailleurs remarquer que loin d’être plan-plan, la mise en scène dans Last Action Hero regorge de mouvements de caméra fluides se coulant derrière les personnages et suivant de plus près leurs actions.


Second exemple : le fameux rêve de Danny s’endormant en classe pendant la projection du Hamlet de Laurence Olivier. Le jeune garçon rêve alors d’une version très "Commando" du chef-d’œuvre de Shakespeare qui peut se voir comme une sorte de trailer d’une minute usant de tous les clichés possibles du film d’action (baston, massacre de masse, fusillades abusives, héros badass aux punchlines cinglantes, explosion injustifiée…). Le tout filmé par un McTiernan qui, bien aidé par son chef op Dean Semler, utilisait un étalonnage des couleurs mettant en avant l’aspect fake (les yeux bleus de Schwarzy…), décalé et surréaliste de la scène. Une technique que se réapproprieront plus tard les Robert Rodriguez et les Zack Snyder avec leurs Sin City et 300. Parce que, voyez-vous, ce que McTiernan jugeait utile pour mettre en exergue l’aspect abracadabrantesque d’une courte séquence d’action débile, ses successeurs en feront des films entiers, uniquement centrés sur leurs qualités visuelles, et qu’ils présenteront d’ailleurs à leur époque comme une révolution. Bien sûr, ils se garderont bien de rappeler que McTiernan l’avait fait treize ans avant eux, sans caméra numérique.


Troisième exemple : son "méchant". Savoureux de cruauté revancharde, Charles Dance prend un plaisir évident à cabotiner dans le rôle de Benedict, le réalisateur lui réservant plusieurs séquences délicieusement assaisonnées d’humour noir (le meurtre du garagiste en pleine rue pour tester les répercussions de son acte dans le quotidien égoïste des new yorkais). Mieux encore, alors qu’il vient d’abattre son patron qu’il juge incompétent (et donc pas un méchant digne d’être celui du film), Benedict se met à monologuer en brisant le quatrième mur pour expliquer directement au spectateur son plan diabolique. Une idée reprise à La Folle journée de Ferris Bueller et que l’on remarque à peine tant elle est parfaitement intégrée par McTiernan dans la narration.


Dernier exemple : les cascades du film sont toutes folles et ridiculisent à elles seules les acrobaties fakes des Fast and Furious et les "exploits" vaniteux de Tom Cruise dans ses Mission Impossible. Regardez simplement la séquence de l’explosion de la maison du cousin de Slater au début du film, cet alignement de six plans figurants l’explosion au début de laquelle on voit le cascadeur doublant Schwarzy être propulsé dans les airs par la déflagration. McTiernan n’a jamais eu son pareil pour magnifier une explosion, qu’il s’agisse de celle-ci, de celle de l’attentat du magasin ouvrant Une journée en enfer ou encore de celle au centre de Piège de cristal et qui voyait plusieurs étages de la tour Nakatomi voler en éclats. Le cinéaste s’amusera d’ailleurs à prendre de plus en plus de distance avec son quota d’explosions dans Last Action Hero, les déflagrations suivantes étant soit filmées de loin (l’explosion de la maison de Slater), soit occultées (l’énorme bulle de goudron), soit figuratives (la mort de Benedict). Mais pour en revenir à celle ouvrant le film, rares sont les cinéastes à avoir su cadrer aussi bien une déflagration. On comptera notamment James Cameron avec l’explosion du camion puis de Cyberdyne dans Terminator 2, Nolan avec celle du Gotham General Hospital dans The Dark Knight ou George Miller avec la séquence de l’explosion du camion citerne dans le dernier acte de son Fury Road.


Pour en rester aux simples cascades, il est amusant de constater que McTiernan réitèrera sa technique de la chute libre de comédien sur fond vert déjà appliquée avec Alan Rickman à la fin de Piège de cristal. Dans Last Action Hero, le cinéaste mettait Schwarzenegger à l’épreuve en composant un plan séquence au ralenti où son personnage chute de plusieurs étages et a le temps de voir tomber plus vite que lui un objet auquel il s’accrochait un instant auparavant (contrairement à Rickman, Schwarzenegger était ici attaché à un câble le descendant lentement pour qu’il puisse mimer sa chute). Le tour de force est là aussi loin d’être anodin, pourtant personne n’y reviendra jamais (pas que je sache en tout cas). Et que dire de ce moment du film où, sur le même plan, Schwarzenegger fait descendre le petit Danny du taxi, la caméra se tourne deux secondes vers le gamin pour dévier l’attention du trucage (alors que la coupe, à peine discernable à l’image, a eu lieu juste avant) et revient sur le taxi qui s’éloigne déjà avec Slater/Schwarzenegger au volant avant de percuter de plein fouet un véhicule fonçant en sens inverse… On en parle de ce plan-séquence ?


Au même titre que The Thing d’un Carpenter, Last Action Hero est loin d’avoir mérité le four qui l’a accueilli à sa sortie en salles et reste très loin de la sale réputation dont certains pseudo-cinéphiles l’ont affublé. Car en dehors de ses qualités techniques, de réalisation et d’interprétation, c’est un film qui témoigne aussi de la fin d’une époque et du début d’une autre dans un cinéma hollywoodien en pleine mutation. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le commissariat de Slater se voit peuplé d’autant d’archétypes du cinéma policier : des fliquettes aux looks tout droit issus de Metal Hurlant y adoptent la démarche de parfaites terminatrix (une dénonciation de l’image de la femme obligatoirement belle et sexy dans les films de genre), F. Murray Abraham y reprenait un rôle de ripoux comme celui qu’il incarnait dans Serpico, Humphrey Bogart s’y voyait ressuscité en tant qu’hologramme en noir et blanc, et même un toon, en résurgence du carton de Qui veut la peau de Roger Rabbit, y déambulait tranquillement en faisant ses blagues salaces, sans plus étonner personne. La plaisanterie de cette scène voyant un commissariat de carnaval ne prête pas seulement à sourire, elle traduit le point de vue d’un réalisateur qui nous dit simplement que Slater est le héros archétypal d’une forme de cinéma policier comme il y en a eu beaucoup d’autres formes avant lui et probablement encore après. Le décor y est en toc, certains designs sont volontairement kitsch et les personnages sont tous des réminiscences cinéphiles. Une des phrases finales de Jack Slater « J’ai besoin de toi là-bas pour croire en moi », signifiant qu’il vivra toujours tant que des spectateurs comme Danny continueront à voir ses films, ne fait qu’appuyer cette séquence a priori anodine du commissariat : Humphrey Bogart existera toujours dans le cœur de tous les cinéphiles tant que ceux-ci continueront d’admirer Le Faucon Maltais et Le Grand sommeil. Et les films de Schwarzenegger, y compris ce formidable Last Action Hero, auront toujours autant de portée dans l’imaginaire collectif tant que vivront et vieilliront les Danny Madigan que nous sommes.


À mon père. Le 4 août 2023.

Buddy_Noone
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