Au milieu de Last Night in Soho, Sandie (Anya Taylor-Joy) apparait sur la scène d’un cabaret, dans un cadre dessiné par les rideaux fermés : baignée dans une petite fenêtre de lumière, elle est entourée par l’obscurité. Le plan confirme le travail sur le surcadrage, prééminent en début de métrage ; mais il souligne surtout à quel point Edgar Wright va nous étouffer en ne sachant pas donner de l’espace à son récit.
Le Britannique est un travailleur de la marge, un défricheur d’images grand public parfois génial : Scott Pilgrim, avec ses airs de teen-movie mal dégrossi, avait jeté un pont solide vers le jeu vidéo, sans pastiche, ni dédain. Baby Driver tournait lui plein cirque sur les effets-clip de sa BO dantesque. Last Night in Soho se propose de manier le cadre dans le cadre, avec l’omniprésence de miroirs, passages entre deux époques. L’idée offre d’abord quelques séquences, dont un bal entre deux eaux, où Taylor-Joy laisse éclater son charisme de fille fatale sur-sensualisée.
Du multivers aux hologrammes
Mais en dehors de ce principe séminal, Wright semble vouloir mener une danse dont il ne contrôle plus le tempo : la musique omniprésente perd progressivement de son à-propos, agresse et déforme le rythme. Le montage trop cut déleste de leur chair les personnages, quand la caméra, affolée, poursuit Ellie comme Ellie court après Sandie : sans but.
Et Wright finit évidemment par se trahir. Rompant l’équilibre fragile mais visuellement stimulant d’une communication par les vitres – sorte de multivers incarné – les visions d’Ellie finissent par s’établir dans le présent, et les frous-frous des roaring sixties par valser dans le Londres contemporain. Leur fusion progressive est d’une laideur effrayante, selon une justification bancale : Ellie plonge en pleine parano. Les inserts d’hologrammes numériques grisâtres, grimaçants, gémissants, n’ont plus aucune grâce. Et ce qui était au départ une ludique relecture du passé, entre nostalgie et fétichisation, devient une exposition d’effets numériques un peu ratés.
En témoigne la montée en puissance visuelle progressive des dernières scènes, avec une conclusion aberrante : plus aucune trace des décors physiques, rien que leur déformation tristement kitsch et bariolée, pour une conclusion improbable et politiquement bien maladroite (faut-il réhabiliter ceux qui prostituent) ?
Ogives nucléaires
L’échec visuel est en effet d’autant plus inquiétant que Wright demeure un bien piètre scénariste : sa phase d’exposition, où il prend plaisir à filmer les deux Londres, dure bien trop longtemps et donne la part belles aux bien plats enjeux de la jeune Ellie (« jeune campagnarde cherche rédemption après mort de la mère, débarque dans grande ville pour y découvrir grande école, mais enfants de la balle pas très bienveillants »).
Une fois dessiné cet arc, Wright fait rebondir dans deux directions son récit, avec deux fusils de Tchekhov qui sont plutôt des ogives nucléaires, concernant les deux personnages principaux : la succession de climax, hystérisée par l’esthétique étouffante, en devient bien longue.
Le britannique passe à côté d’un film bien plus intéressant, celui où l’on aurait interrogé les visions d’Ellie – après tout, il n’est pas logique de revoir dans ses rêves la mort d’une prostituée des années 60 – plutôt que de les remettre à demi-mot sur un soupçon de schizophrénie héréditaire. Il aurait pu alors esquisser une vraie réflexion sur le spectateur lui-même, amené comme son héroïne a poursuivre une histoire disparue dans les glaces. De tout cela, on ne discutera pas, et Last Night in Soho demeurera une balade virtuelle et pénible sans réel programme. Rideau !