Edgar Wright est un réalisateur que l'on peut aisément qualifier d'expérimenté. Comme beaucoup je l'avais découvert avec le duo Simon Pegg & Nick Frost dans la comédie horrifique "Shaun of the Dead" puis "Hot Fuzz". Son humour décalé et ses plans si singuliers faisait de lui une valeur montante du cinéma indépendant d'outre Manche. Sa science du montage dynamique avec un profond attrait pour les longues focales marquait l'une de ses caractéristiques les plus significatives. Avec le succès de "Baby Driver" qui imprégnait les codes qu'il chérit tant, Edgar prenait son envol avec un casting cinq étoiles et Hollywood à ses pieds. J'attendais ainsi de pied ferme sa dernière création avec une exigence à la hauteur de son talent. Le constat est sans appel, Wright a atteint les limites de son cinéma. Décryptage.
N'y allons pas par quatre chemins, Wright ne devrait pas expérimenter des genres donc il ne maitrise pas les codes. Le film horrifique ou thriller psychologique ont leur propre langage, leur rythme, leur sens du détail; Wright ne s'y adapte à aucun moment. Je suis allé voir ce film en n'ayant pas lu le synopsis, je n'avais donc pas la moindre indication qu'il s'agirait en réalité d'une œuvre qui se voulait effrayante. L'histoire avait si bien commencé, Eloise Turner (interprétée par la talentueuse et star montante Thomasin McKenzie vu récemment dans "Jojo Rabbit" et " Old"), jeune étudiante passionnée de mode et des "sixties" débarque à Londres dans l'espoir de poursuivre son rêve de devenir styliste. Personnage solitaire et introverti elle découvre à son grand désarroi l'agitation nocturne du "North London". Après être restée très brièvement dans son logement étudiant, elle emménage dans une maison chez une vieille femme relativement sympathique mais plutôt strict. Mise à part les quelques scènes clichées et redondantes des écolières abjects style "instagrameuses" et les placements de produits incessants à la limite du supportable je n'avais jusque là pas grand chose à reprocher à ce que je voyais. Ce n'était sans compter sur ce qui arrive quand la nuit tombe sur Soho...
Quand Ellie s'endort, c'est une toute nouvelle histoire qui commence. Emporté dans un autre temps, elle est à présent Sandie une chanteuse/danseuse dans un "Swinging Sixties" aussi effrayant que fascinant. Nous suivrons ses péripéties à travers une multitude de lieux plus terrifiant les uns que les autres. L'opération séduction fonctionnait dans les premières séquences, comment ne pas l'apprécier ? Anya Taylor-Joy est une actrice pétillante et d'un glamour édifiant. Si l'on ajoute à ça la chromatique travaillée au rend d'orfèvre et le jeu de caméra très astucieux de certains plans (notamment quand Ellie et Sandie danse avec Jack) on ne peut que saluer le travail de Wright. La virtuosité de son esthétisme n'est cependant pas une grande surprise. Sa photographie a toujours été soigné et son attrait pour l'expérimentation est à fortiori salutaire. Néanmoins quand on s'éloigne de sa beauté plastique les masques tombent et le rythme s'alourdit. Le film bascule alors dans le "giallo Polanskien" avec une exagération ridicule du gore et des jeux de lumière à la limite de l'épileptique.
Je n'arrive toujours pas à comprendre sur quoi Wright a voulu nous emmener. Lui qui était si inventif, si déroutant à la limite parfois du burlesque, il nous sert ici une bouillie scénaristique avec un épilogue qui en fera sourire plus d'un. Ce n'était donc que ça ? Dénoncer l'exploitation des corps dans un discours misandrique qui justifie le meurtre de ses bourreaux ? J'ai toujours été un progressiste mais pour que les choses évoluent il faut instaurer un dialogue raisonné et responsable. Ici ce n'est pas sérieux. Wright m'a déçu sur ce point précis. A plus forte raison, le personnage de John le petit ami de Ellie est l'archétype même de ce que n'est pas un homme toxique. Il se perd ainsi dans une histoire qu'il n'arrive pas à conclure. Le happy ending convenu essaye de masquer un dénouement brouillon ce qui rend l'œuvre terriblement nonchalante. Dommage.
En bref, ce n'est pas une œuvre catastrophique, loin de moi cette idée, elle est seulement nourrie par une maladresse criante d'un réalisateur qui s'est égaré dans un genre qu'il ne maitrisait pas. Je respecte la démarche et la prise de risques mais force est de constater que l'on en ressort plein d'amertume. Ce n'est pas bien grave, beaucoup de grands réalisateurs ont excellé dans leur singularité artistique et je pense que Wright devrait revenir aux sources et accorder ainsi un rebond à sa carrière.