Laura est un polar à part. C'est un peu comme si Humphrey Bogart rencontrait Agatha Christie. Le prototype de l'inspecteur chapeau mou vissé sur la tête, grand imper, un peu brusque et insolant, mâle au charisme imposant mène sa petite enquête dans les salons feutrés de la haute bourgeoisie. Mais qui a donc tué Laura Hunt (sublime Gene Tierney) ? Son Pygmalion Waldo Lydecker journaliste pédant, misanthrope et maniéré aux répliques ravageuses ? Shelby Carpenter, son fiancé, homme mondain désargenté à la fidélité douteuse ? Ou pourquoi pas Ann Treadwell ou bien la bonne Bessie ? Le Lt McPherson mène son enquête en quasi huis clos. Les protagonistes sont comme les billes du jeu qui aide le Lt à se concentrer : coincés dans cet espace clos et dans l'attente que l’enquête les places tous dans leurs "trous". Un autre élément symbolique du film est ce portrait de Laura qui trône dans son salon. Laura est dès lors placée sur un piédestal, centre de tous les regards, de toutes les admirations.
La réalisation et la mise en scène d'Otto Preminger sont magistrales. Il parvient très bien à faire monter la tension et nous offre un grand rebondissement dès la mi-film (SPOILER mais après coup la justification de la présence de Diane Redfern dans l'appartement est un peu bancale FIN DE SPOILER). Bien que la solution soit relativement évidente pour qui à l'habitude de ce genre d'enquêtes (SPOILER dès le début on nous introduit l'histoire des 2 horloges identiques et Lydecker est présenté comme un menteur et un homme prêt à tout pour éloigner les prétendants de Laura FIN DE SPOILER) Preminger parvient à maintenir le doute. Mais là n'est pas l'essentiel. C'est bien le mariage réussi du roman noir américain et du roman d'énigme européen qui fait de Laura un film à part et il n'y avait probablement qu'Otto Preminger et peut être Hitchcock grâce à leur double culture européenne et américaine qui auraient pu réussir cet exploit.