Nous sommes à New-York, dans les années 40. La guerre fait rage en Europe et dans le Pacifique, mais, ici, au cœur de la métropole tentaculaire, les préoccupations des mondains en sont bien éloignées. Le microcosme de la bonne société ne se passionne que pour le meurtre terrible qui vient d’avoir lieu – celui d’une jeune femme active et talentueuse, qui occupe un poste élevé dans une agence de publicité.
Le soin de dénouer le mystère revient au lieutenant de police McPherson, un homme peu disert et sans égards, mais fin renard. Au fil de son enquête, le détective va louvoyer dans un milieu où l’apparence et les faux-semblants sont rois, et développer une certaine fascination pour la victime dont il cherche à découvrir l’assassin.
« Laura » eut une existence mouvementée. D’abord confié à Rouben Mamoulian, celui-ci est remplacé au bout de quelques semaines de tournage par Otto Preminger – initialement, seulement producteur –, qui convainc la Fox de le laisser réaliser le film comme il l’entend. Le rôle mythique du film, d'abord refusé par Jennifer Jones et Hedy Lamarr, échut finalement à Gene Tierney, alors en pleine dépression suite à la naissance de sa fille retardée.
Et finalement, malgré tous ses éléments, Otto Preminger signe un chef d’œuvre du film noir qui gagnera une aura mythique et s’impose comme l’une des meilleures réalisations du genre.
Preminger plonge son film dans une atmosphère de film noir lourde et prégnante, mise en valeur par la photographie superbe de Joseph LaShelle, qui fut récompensé par un Oscar pour son travail. Si le film s’illustre graphiquement, il s’accompagne également d’une partition inoubliable qui deviendra rapidement culte.
Le réalisateur donne corps à son film en croquant une galerie de personnages variés, qui gravitent autour de la victime. Grinçants, cyniques, avides, ils constituent autant de portraits désabusés et moqueurs de la "bonne" société new-yorkaise. Si tout les oppose, du journaliste à la plume acide, misanthrope hautain au flic brutal et tenace en passant par l’escroc désargenté au physique de jeune premier, tous rivalisent d’ingéniosité et paradent tels des paons pour attirer l’attention de la belle, une ingénue courageuse et généreuse, qui semble candide quant à l’effet de ses charmes.
Le succès du film tient pour beaucoup de la performance de la fascinante Gene Tierney. Beauté délicate et éthérée, elle joue ici un personnage de femme sophistiquée, intelligente et raffinée, cocktail détonant auquel les hommes ne peuvent résister.
Face à elle, les autres acteurs ne sont pas en reste : Dana Andrews est tout à fait crédible et convaincant avec sa voix puissante, habituée à donner des ordres ; Vincent Price, mielleux en diable, campe un personnage aussi détestable que réussi ; enfin, Clifton Webb, dont c’est le premier film parlant, réalise une excellente prestation, interprétant avec beaucoup de verve cet homme de lettres dédaigneux et plein de morgue.
« Laura » fonctionne sur une alchimie subtile de plusieurs éléments qui créent une atmosphère de film noir d’une grande richesse : photographie virtuose, contrastes travaillés, images splendides, bande son mélancolique et acteurs d’une grande justesse. Tous ces rouages s’imbriquent parfaitement, servent un scénario intelligent et bien écrit, qui maintient le suspense et la tension jusqu’à un final de très haute volée.