Après J’ai tué ma mère et Les amours imaginaires, Xavier Dolan nous présente un nouveau long-métrage québécois, une nouvelle fois traitant de l’ambiguïté de l’identité.
Un jeune professeur, Laurence, et son amante Fred ont une relation basée sur un amour fort et extravagant. Mais Laurence, confit à sa femme le jour de ses trente ans, qu’il ne peut pas continuer en étant ce faux-semblant d’homme, qu’il veut l’aimer en devenant une femme, ce pour quoi il est destiné, nous assistons ainsi aux tumultes de la relation l’évolution, et les incessants allers-retours de la haine à l’amour, de l’amour à la haine.
Le film s’entame sur des regards. Différents de regards, nous sommes comme plongés dans la peau d’un transsexuel. On comprend rapidement que cette œuvre met en scène la question de l’identité, du regard des autres, de notre place dans ce monde, avec autrui. Ainsi l’exposition, après nous avoir montré magnifiquement la silhouette de Melvil Poupaud (Laurence) dans un ralenti, et une fumée envahissante, nous sommes transportés dans le passé. Nous découvrons vite la profession des deux personnages, et la fusion qu’il existe entre ces deux personnages, qui s’apportent mutuellement. Lorsque Laurence annonce à Fred, celle-ci est désorientée, dans une autre sphère. Mais elle décide d’essayer de comprendre Laurence et de la soutenir.
La résolution est difficile à cerner, car pendant la dernière heure du film, Dolan cesse de nous jouer une valse où les personnages se séparent, se remettent ensemble. Ainsi, la résolution pourrait se trouver à la moitié du film, lorsqu’un papillon sort de la bouche de Melvil Poupaud et symbolise sa transformation complète. Mais, la beauté de la relation entre Fred et Laurence nous fait voyager. La résolution des résolutions est la « dernière » rencontre de Fred et Laurence dans un bar. Fred a changé, Laurence est complètement transformé. Seulement, leur conversation reste superficielle, lourde, ils ne le supportent pas, et chacun part discrètement du bar, pour se retrouver sous une pluie de feuille mortes.
L’histoire est assez bien ficelée, nous faisons des sauts dans l’espace-temps, entre les premières minutes, et les dernières minutes. Nous basculons ainsi dans une temporalité inégale, ou s’enchaînent des séquences hystériques, et parfois irrationnelles, dans une pesanteur inattendue et agréable. On pourrait reprocher la dernière demi-heure qui n’apporte rien au film, juste de l’esthétisme en plus qui ne peut que nous ravir.
La beauté du scénario, apparaît également à travers la force des personnages, affrontant la différence, et criant « aimez-nous ».
Le spectateur est immergé dans le réalisme de ce couple d’acteurs. Des acteurs qui interprètent merveilleusement bien la dualité, dans un couple, dans les choix. L’ «ambigüité » est le mot définissant leur relation. Fred prend vite le statut de l’homme. Son prénom invitait le spectateur à la considérer comme la figure masculine, courageuse et d’un soutien nécessaire. Tandis que Laurence s’impose de lui-même au spectateur, aux autres en tant que femmes.
Nous sommes confrontés à la beauté de leur relation, la profondeur de ces personnages est perturbante. Ils sont caractériels, déchaînés , enivrés par la vie, déprimés, stables ou instables. Différents états d’âme qui nous emportent dans les tumultes de leur relation.
D’autres personnages auxquels nous nous attachons également, ce sont ces « mamie rose» ,« bébé rose », de vieilles femmes, où hommes dans un style très rococo, vivant dans une sphère inconnue, presque fantastique. Un univers décalé où l’on se soucie de rien, un univers sans préjugés, où le regard des autres ne compte pas. La joie de vivre de ces personnages, et leur marginalité est un délice que l’on découvre vivement.
Mais ce qui nous fascine chez ces personnages, c’est leur mise en scène, et la façon dont Xavier Dolan les sublime.
La réalisation crée une distorsion dans le temps, on alterne moment de ralenti, de pesanteur, où l’image est tout le temps esthétiquement magnifique, par exemple la pluie de vêtements sur l’île, les couleurs sont souvent criardes, et la musique s’ajoute à cette pesanteur. Nos esprits ne siègent plus dans le cinéma, mais sont attirés par l’écran.
De nombreux regards caméra insistent ainsi sur la différence, et l’acceptation. Sur la brutalité d’un changement qui vient outrager l’environnement. A part, les plans ralentis, souvent larges, nous avons une alternance de travelling, de caméra épaule, stable instable, traduisant l’état des personnages et une profondeur de champs souvent réduite, des changements de mise au point.
Le montage alterne ainsi, des suites de plans rapides (scènes de colère, de rire, d’euphorie), et parfois un montage très lent (scène ralenti, marquant de stades dans leur relation).
Cette esthétisme appartient à Xavier Dolan, même s’il semble mettre en valeur la figure féminine de la même façon que Almodovar.
De plus, on peut reconnaître la variété de la musique, de Céline Dion à de l’Electro, la musique impose également nos voyages dans une autre sphère.
On peut prendre en exemple la scène où Fred se rend à une soirée chic, extravagante magnifique dans sa robe, un travelling suit le personnage, la musique marque son avancée parmi ce cercle de personnes « importante » . La lumière dans les tons bleus, et l’Electro nous plongent dans un autre monde sphérique
Xavier Dolan, nous présente un film aussi esthétique ces deux dernières œuvres, il impose au spectateur ce récit sur le regard des autres, la différence. Seulement, 2h41 est assez ambitieux, même si je n’aurais voulu manqué la beauté de la dernière heure, son film pourrait s’achever avant. Mais il reste un régal pour les yeux.