Aujourd'hui, Mardi 25 février, John McTiernan sort enfin de prison, et pourra retourner vivre dans son ranch au Wyoming. Il y sera assigné à résidence, mais la promesse de son retour au cinéma est déjà officialisé. Il a en effet signé pour réaliser, dés la fin de sa peine, le déjà très attendu Red Squad. En attendant de voir revenir le cinéaste aux affaires, voici l'occasion de revisiter l'un de ses précédents films. En l’occurrence, Le 13ème Guerrier, adapté du roman Les Mangeurs de morts de Michael Chrichton.
Le film, de par ses nombreux soucis de production, aura suscité bien des rumeurs quand aux différences entre la version originale de McT et le résultat final. Des fantasmes qui aliment la légende et le statut culte du long métrage, et ce n'est pas le relatif échec au box-office de l'époque qui changera la donne (il est a noter par contre qu'en France le film a été particulièrement bien accueilli, autant par la critique que le public). Ces divergences sont la conséquence d'une vraie collision entre les deux visions du réalisateur et de l'écrivain. Quand finalement on met en perceptive ce «choc des cultures» avec le film, il est intéressant de voir que le propos qui traverse Le 13ème Guerrier dépasse malgré lui le cadre de l’œuvre.
Le cœur du film parle justement de la rencontre de deux cultures que tout oppose. Celle d'un ambassadeur arabe (Antonio Banderas) et d'un peuple viking considéré, au premiers abords, comme barbare. Les premières interactions entre Ahmed Ibn Fahdlan et les hommes du nord sont au départ limitées par la barrière de la langue, un motif récurrent du cinéma de John McTiernan qui va ici ici se matérialiser par un brillant effort de mise en scène. Au début du film Ahmed est accompagné par le personnage incarné par Omar Sharif, qui lui servira d'interprète. Lors des dialogues récités d'une langue à l'autre, le cadre triangule les différents interlocuteurs en changeant la profondeur de champ pour bien appuyer la transmission de savoir. Procédé on ne peut plus important pour la suite du film, puisqu'il amorce ce thème entre Ahmed et le héros viking Buliwyf. Cette exposition Permet aussi au spectateur d’entendre abondamment la langue nordique pour habituer son oreille et mieux impacter la prodigieuse scène d'apprentissage d'Ahmed. Par l'écoute attentive et l'observation, l'arabe va pouvoir assimiler la langue de ses compagnons guerrier. Une scène de feux de camps magnifiquement cadré, où le nordique se transforme peu à peu en anglais limpide, qu'Ahmed achèvera par un réplique cinglante. Sublime.
Grâce à cette introduction, le film donne une nouvelle signification à ce qui est en fait, une relecture réaliste de Beowulf, le poème anglo-saxon. Il utilise en effet ce bagage mythologique pour mieux transcender ce qui fait la racine des contes et légendes au sein d'une culture. La transmission du savoir se faisant à l'oral, un simple mot peut être déformer et réinterpréter de manière fantasmagorique. Le «firewurm» en est l'exemple le plus marqué, le serpent de feu se transformant en dragon d'une bouche à l'autre. Dans cette optique, l'astuce d'utiliser un étranger comme protagoniste pour faciliter l'immersion du spectateur se détache d'une simple ficelle scénaristique vieille comme le monde. Elle amène surtout Ahmed comme personnage témoin avec le pouvoir de coucher les récits héroïques sur papier. Buliwyf voit en cela le moyen de vivre éternellement, le Valhalla devenant le partage par l'écrit. «A man might be thouht wealthy if someone were to draw the story of his deeds, that they may be remenbered.»
Quant à l'aventure, tel que vécu par les protagoniste et le public, elle est d'une richesse picturale et d'un souffle épique sans guère d'équivalent. Alors que le cinéma est en pleine révolution numérique (le film sort la même année que Matrix, Fight Club, La Momie ou Star Wars : Épisode I), Le 13ème guerrier dispose d'une quantité infime de plans retouchés. Pratiquement intégralement tourné dans les forêts canadiennes, les panoramas offerts sont d'une beauté sidérante. Du village viking intégralement construit pour l'occasion, jusqu'à la caverne des Wendols, le sens de la texture y est impressionnant et presque palpable. Couplé par un éclairage naturel époustouflant, aussi bien de jour que de nuit, il est facile d'être soufflé par le visuel du film. Quant les guerriers parcourent les bois à la recherche d'une cabane perdue, on arriverai presque à sentir l'air qui se dégage du décor. Mais la force du film est de toujours garder un caractère humain à ces plans. Deux ans avant Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson et ses travelling aériens, John McTiernan n'utilise pas cet artifice et garde ses décors au plus prés de ses personnages. Ainsi il conserve un aspect organique et vivant qui aurai été amoindri par une simple présentation abstraite de l’environnement. Une approche presque anti-spectaculaire qui aura été une des sources des différents entre John Mctiernan et Michael Chrichton.
Si de l'aveu du réalisateur, le film tel qu'il aurai voulu durerai une dizaine de minutes de plus, il aurai sans doute été bien différents, surtout dans son dernier acte. Sûrement à cause de premières projections-test désastreuses, Michael Chrichton a orchestré des reshoots près d'un an après le tournage initial. Allant du simple rajout anodin, à la modification entières d'enjeux, une prolongation de développement qui aura fait explosé le budget. Outre l'ajout du chef des Wendols dans le récit par des inserts quelque peu incongrus (ajout de cornes en postproduction, ou plans tournés avec un nouvel acteur à Los Angeles), c'est le traitement de la mère de Wendols qui aura posé le plus de problème. Pas moins de trois versions tournées, avec trois actrices distinctes, pour trois aspects radicalement différents. Malgré cela, et le fait que Mctiernan souhaitai à l'origine une fin proche de Zoulou (cohérente avec l'idée de compréhension des cultures), ce dernier ne regrette pas ce qui reste du film. Vu que son talent transparaît malgré un montage un peu serré, on peut facilement lui donner raison. Autre changement, finalement bénéfique au film, l'abandon de la musique de Graeme Revell (The Crow, Les Chroniques de Riddick) au profit du score de Jerry Goldsmith. Le premier a composé une partition intéressante plus ethnique que celle que l'on connaît, mais il aurai été dommage de ne pas profiter des envolées lyriques de Goldsmith qui n'ont rien à envier au Conan le barbare de Basil Poledouris.
Mais peu importe une director's cut fantôme, le film tel qu'il est sorti, et tel qu'il restera dans les mémoires, est toujours ce récit d'une fable épique à l'approche humaine. Ôde au partage, à l’échange, et à la compréhension des cultures, Le 13ème guerrier définie, autant par son discours que par sa conception, le sens même du mot Légende.