"Le Baiser du Tueur" fait parti de ces films qui ont un intérêt en tant que source de carrière. Si on ignorait la destinée future du cinéaste, ici ni plus ni moins que Stanley Kubrick, c'est sûr qu'on serait déjà moins clément. Il y a bien sûr des exceptions, comme le démesuré "Citizen Kane", mais ça reste anecdotique. Tout aussi grand qu'il fut, Kubrick n'en fait pas parti: notre avis sur sa qualité sera, quoi qu'il en soit, influencé par ce qu'il a fait après.
Il est à part dans sa filmographie, et pas simplement parce que c'est son premier film: il est l'unique film officiel tourné dans des conditions très fauchées, où il est à la fois le scénariste original et le directeur photographique. Autant dire qu'il a resserré sa ceinture. Mais la qualité suit-elle le mouvement, surtout pour un film si court qu'il m'a pris de court (j'ai même pas fait exprès avec ce jeu de mots) ? Modérément. Je n'ai rien de vraiment neuf à rajouter sur ce film, au vu de ses qualités et défauts assez évidents, mais j'aimerais comparer avec ses futurs classiques et mettre en valeur comment il a appris de ses leçons pour s'améliorer... Le scénario, donc, ne brille pas par son originalité. On sent à la fois ses passions personnelles (la boxe), ses influences familiales (sa sœur qui dansait) et même des fantasmes romantiques (une histoire d'amour en deux jours, dont Kubrick est conscient de son absurdité). Certes, le scénar a de belles qualités, comme le doute qui reste avec le spectateur à la fin, à propos des sentiments de la Demoiselle, ou encore l'histoire de la sœur qui n’interagit jamais avec les personnages. Mais si ces scènes ne sont pas servies par une trame narrative convaincante, ça ne suffit pas hélas... Or, le reste, c'est d'une simplicité invraisemblable, avec des personnages à peine développés (réactions incompréhensibles), un suspens finalement illusionné, et une fin qui gâche justement l'incertitude qu'on avait à son sujet. Exactement l'inverse du scénario de "Shining", adapté avec une autre personne (en l’occurrence une femme). Au risque de choquer, Kubrick n'a jamais été un cinéaste hyper-original dans ses scénarios, surtout comparé à d'autres réalisateurs connus pour leur maniement de l'étrangeté comme David Lynch : c'est sa façon de les regarder, puis de les traiter, qui était unique. Et c'est là que "le baiser du tueur" se distingue remarquablement d'"autres premiers films" : la mise en scène était déjà éclatante. C'est assez impressionnant. Je reviens à l'exemple de l'histoire de la sœur danseuse, parce que c'est certainement la meilleure scène du film : le récit, somme toute plutôt triste, est racontée en voix-off, alors que cette femme danse. En effet, ne nous est-il jamais arrivé de contempler un artiste exécuter son œuvre sans se demander comment il était dans la vraie vie, sa relation avec sa famille, qu'est-ce qu'il cache comme secrets ? Kubrick résume ce questionnement curieux en trois minutes, en quasiment un seul plan. C'était son premier tour de maitre, et je pense que cette réflexion du regard renfermant des mystères profondément humains trouvera son cheminement définitif avec les travellings des "Sentiers de la Gloire". On pourra noter également la qualité superbe de la photographie (inutile de préciser son paroxysme dans la carrière du Stanley) ou encore la crédibilité des décors, étonnant pour un film aussi déché. Il n'empêche que les acteurs ne sont pas fabuleux, avec un Smith monolithique, une Kane peu impliquée et un Silvera qui, au contraire, surjoue pas mal (ironiquement, ce sont trois noms de famille qui sont assez cinéma !). Quant aux bruitages, déjà en 1955, on en faisait de meilleures qualités je pense. On dirait presque ceux des "Tontons Flingueurs". C'est drôle d'observer que ces deux défauts seront poussés dans leurs retranchements dans "2001", mais cette fois comme atouts. Autant je ne suis toujours pas convaincu pour le coup des acteurs inexpressifs, autant on peut pas dire que le travail sonore est raté ; pourtant, les bruitages de "2001" sont poussés jusqu'au bout de l'absurde. Comme quoi, tout est une question de sujet.
Mon avis général est donc moyen. J'ai beau être bluffé par la réalisation, le film d'amour ne colle définitivement pas au caractère du bonhomme. Il n'empêche qu'on passe quand même un bon moment, et qu'il est important de le voir pour tout admirateur de Kubrick. Si vous ne le voyez pas, vous n'en mourrez pas non plus...