Il y a des films qui vous prennent par surprise, d’autres qui vous happent lentement avant de vous ensorceler. Le Bal des vampires, lui, vous invite à une valse macabre où l’absurde se mêle au gothique dans un tourbillon délicieusement décalé. Roman Polanski, alors jeune réalisateur en pleine ascension, s’amuse à dynamiter les codes du film d’horreur vampirique tout en lui rendant un hommage sincère. Résultat : une œuvre hybride, à la fois glaçante et grotesque, qui n’a rien perdu de son charme étrange.
Un festin visuel au service de l’ironie
Dès les premières scènes, le ton est donné : nous sommes dans un univers qui emprunte autant aux classiques de la Hammer qu’au conte grinçant. La neige omniprésente, les forêts brumeuses, l’auberge inquiétante et surtout ce château gothique aux allures de théâtre expressionniste : tout est réuni pour une plongée dans l’imaginaire vampirique le plus pur. Mais Polanski ne s’arrête pas là. Il tord ces éléments archétypaux avec une ironie mordante. Chaque plan, chaque costume, chaque regard est pensé pour jouer sur le fil du grotesque sans jamais sombrer dans le ridicule. Les vampires ne sont pas simplement terrifiants, ils sont aussi étrangement mondains, presque pathétiques dans leur aristocratie décadente.
Le comte von Krolock (magnifiquement interprété par Ferdy Mayne) incarne cette dualité avec brio : à la fois effrayant et théâtral, il oscille entre majesté et caricature. À ses côtés, ses sbires et sa cour vampirique forment une galerie de personnages aussi glaçants qu’absurdes. Mention spéciale à Alfie Bass dans le rôle du vampire juif, une scène qui ose bousculer les codes avec une audace encore surprenante aujourd’hui.
L’humour décadent au cœur du cauchemar
Si Le Bal des vampires fonctionne aussi bien, c’est parce qu’il ne choisit jamais entre l’horreur et la comédie, préférant une danse effrénée entre les deux. L’humour est omniprésent, qu’il soit visuel (les courses-poursuites maladroites, les personnages dépassés par les événements) ou plus subtil (les dialogues truffés de sous-entendus et d’absurdité).
Le duo formé par Jack MacGowran et Roman Polanski lui-même est un parfait ressort comique : le professeur Abronsius, vieux savant obsessionnellement myope, et son assistant Alfred, benêt à la naïveté désarmante, sont deux anti-héros lunaires, bien loin des Van Helsing triomphants du cinéma d’horreur traditionnel. Leurs maladresses constantes, leur incapacité à affronter les monstres qu’ils traquent, renforcent l’impression que nous sommes dans une version décalée du mythe.
Mais derrière le burlesque se cache une certaine mélancolie. L’humour n’efface jamais totalement l’angoisse, et certains moments rappellent que sous le vernis de la comédie, Polanski installe un climat oppressant. La beauté froide de Sharon Tate dans le rôle de Sarah, ses apparitions oniriques dans la baignoire ou sa voix hypnotique résonnant dans le château, ajoutent une touche de tragédie au délire ambiant. L’ombre du macabre plane toujours au-dessus du carnaval.
Un film d’hier, un plaisir intact
Bien sûr, Le Bal des vampires a vieilli, et certains spectateurs pourraient être rebutés par son rythme plus lent, ses effets spéciaux d’un autre temps ou son humour particulier. Mais c’est aussi ce qui fait son charme. Il appartient à une époque où l’on prenait le temps d’installer une atmosphère, où l’horreur pouvait rimer avec poésie et où la parodie n’était pas qu’un prétexte à enchaîner les gags. En cela, il reste un film unique, intemporel dans son audace.
Avec Le Bal des vampires, Polanski prouvait déjà sa capacité à jouer avec les genres, à les détourner sans les trahir. Un film hybride, jubilatoire, où l’horreur danse avec le burlesque sous une lune blafarde. Et vous, oserez-vous entrer dans la valse ?