Réalisé en 1972 par le talentueux cinéaste espagnol Eloy de la Iglesia, Una Gota De Sangre Para Morir Amando (titre original espagnol) s'est longtemps coltiné une piètre réputation face à ses multiples assimilations au somptueux et terrifiant Orange Mécanique de Stanley Kubrick. Avec sa société dystopique, le comportement ultra violent de la part de la jeunesse et des solutions curatives radicales pour ramener cette dernière dans le droit chemin, nous nageons effectivement ici dans l'univers imaginé par Burgess et illustré au cinéma par Kubrick. Profitant, de plus, de la retraite espagnole de la comédienne américaine Sue Lyon, célèbre pour son rôle de Lolita dans l'adaptation de Kubrick, il n'en fallut pas plus pour irrévérencieusement comparer Le Bal Du Vaudou aux travaux du très célèbre cinéaste britannique et taper allègrement dessus. Tout ça sans compter les nombreuses coupes que le film eut à subir à travers le monde de la part de la censure.
Revenons brièvement dans le contexte de l'époque. 1971. Sous l'égide de la dictature franquiste, Orange Mécanique se voit interdit de distribution en Espagne, ce qui déçoit Eloy de la Iglesia qui a découvert l’œuvre de Kubrick lors d'un séjour en Angleterre. En souhaitant symboliser la dictature de son pays par une société dystopique à une époque indéterminée, il rédige un synopsis en empruntant diverses idées à Orange Mécanique dont sont privés ses compatriotes. Et en glissant discrètement divers messages "politiques" quant à un peuple opprimé par le fascisme, de la Iglesia dresse le portrait d'une jeune femme respectable et respectée qui perd totalement pied au sein d'une société qui se veut utopique jusqu'à l'excès. Une immodération sous forme d'hyperbole qui s'est malheureusement vue censurée durant 50 ans avant que les italiens d'Amoeba Films retrouvent enfin une copie où les précieuses scènes manquantes répondent à l'appel.
Dans sa version intégrale, Le Bal Du Vaudou devient un autre film. Bien plus qu'une pâle copie d'Orange Mécanique, dont elle assume pleinement l'influence en le citant lors d'un programme télévisé imaginaire, l’œuvre offre un différent point de vue, féminin de surcroit, avec un propos aussi pertinent que discutable. Fidèle à sa réputation de cinéaste singulier, Eloy de la Iglesia s'inspire tout autant ici des codes du giallo que de la satire politique pour principalement nous parler de ses compatriotes subissant le régime de Franco depuis 1936. Dans sa version censurée et qui fut la seule à être distribuée aux quatre coins du globe, l'allégation reste moindre et donc, forcément, moins passionnante.
En l'état, suivie pour des troubles bipolaires depuis plusieurs années, l'actrice Sue Lyon incarne à la perfection cette étrange infirmière qui demeure aussi efficace que bienveillante avec ses patients à l'hôpital que manipulatrice et meurtrière dès la nuit tombée. Et malgré quelques maladresses en hommage un peu trop appuyé au travail de Kubrick (les valses de Strauss de 2001 : L'Odyssée De L'Espace, Sue Lyon lisant Lolita de Nabokov, etc.), Le Bal Du Vaudou reste néanmoins une très intéressante variante espagnole du psycho killer movie. Une œuvre à impérativement découvrir dans sa version intégrale récemment restaurée.