Que dissimule donc Ali Cherri sous ces multiples plans d'arbres, d'eau, de boue et de sable, d'hommes qui travaillent dans le désert ; sans cesse recouverts par des notes de synthé un peu fatigantes ? Pas de goût pour le collage dans ce film, l'association libre, mais une linéarité un peu faiblarde, la forme d'un voyage initiatique qui ne décolle jamais vraiment, engoncé dans un symbolisme qui ne dit pas son nom. La situation politique du Soudan exprimée par des voix à la radio - mon dieu, me suis-je dit, comment est-ce qu'on peut encore filmer ça comme ça ? Je ne dis pas que ça n'existe pas "dans la vie" (j'écoute la radio moi-même tous les matins en regardant le soleil se lever depuis mon petit studio, et c'est ainsi que l'horreur du monde ou ses soulèvements me parviennent, ou font mine de me parvenir), mais n'y a t-il pas d'autres biais de mise en scène pour faire entendre la révolte du peuple soudanais dans ce quotidien ? L'idée, d'ailleurs, que lorsque le réel surgit dans la vie de ces ouvriers, c'est aussi le surnaturel qui s'impose, est stimulante. Mais le cinéaste n'en fait pas grand chose. En fait, le film ne trouve jamais vraiment le lien entre sa piste fantastique et le propos politique qu'il sous-tend. J'aurais même préféré que le nom du président Omar el-Bechir ne soit jamais prononcé dans le film - peut-être aurais-je senti les images plus libres, moins soumises à un vouloir-dire à la fois trop timide pour que mon corps ressente pleinement le lien, et trop plaqué pour que ces images m'apparaissent véritablement pour ce qu'elles sont. Je n'ai pas beaucoup senti le travail de la boue dans ce film, ni le travail, ni la boue. Mais un acharnement à vouloir dire autre chose de ce travail et de cette boue, les charger d'une autre dimension, avant de simplement commencer par me les donner à voir, à sentir, à ressentir.
J'ai eu l'impression d'un film avec beaucoup d'idées très belles, mais qui n'avait jamais vraiment trouvé sa matière, son lieu, ses axes de caméra, le fil le plus solide de son récit. Un film comme le brouillon un peu confus d'un poème : des visions séduisantes mais sans la charpente assez solide pour les porter, et ainsi donc sans rythme véritable, donc sans violence, sans cri - une douceur subie, qui est l'autre nom de la mollesse.