Plongée vertigineuse dans le monde du silence

« Das Boot » est un film de Wolfgang Petersen, sorti en 1981. Originellement produit en mini-série pour la télévision allemande, il est diffusé pour la première fois sous son format définitif au festival du film de Los Angeles, où il est loué pour ses qualités artistiques. Le film est finalement nominé à 6 Oscars en 1983, une première pour un film étranger, mais n’en remporta aucun.


Le film met en scène une bande de marins allemands, qui profitent de leur dernière soirée sur la terre ferme avant de s’embarquer pour une nouvelle mission. Nous sommes en pleine deuxième guerre mondiale, et ces hommes appartiennent à une composante cruciale de la stratégie militaire des nazis : les sous-marins.


Si le capitaine et ses officiers sont des hommes d’expérience, ils emmènent cette fois-ci avec eux un jeunot, le lieutenant Werner. Ce dernier appartient à la presse des armées, et sa mission sera de retranscrire son quotidien à bord du sous-marin.


Dégrisé et fin prêt, l’équipage prend place à bord du U-Boot avec la docilité et l’efficacité d’une longue pratique, et le bâtiment quitte son port d’attache à La Rochelle. Ce prédateur silencieux ne tarde pas à fendre les flots : la chasse est ouverte.


Ce qui frappe au premier coup d’œil, c’est la précision de la reconstitution du sous-marin. Disposant de quinze millions de dollars de budget pour le film, Petersen fit construire deux répliques grandeur nature d’U-Boot en suivant des plans d’époque conservés au musée maritime de Chicago. La première servait à filmer les scènes d’intérieur, tandis que la seconde pouvait prendre la mer – uniquement en cas de calme, elle sombra lorsqu’elle affronta des eaux un peu agitées. L’effet est saisissant. Disposant ses caméras avec une adresse hallucinante, le réalisateur rend incroyablement crédibles et vivants ces compartiments exigus où tout est calculé pour gagner de la place, et où tout mouvement semble difficile. Salle des machines, quartiers de l’équipage, mess des officiers, cabine des opérateurs sonar, périscope… rien ne manque, et néophytes comme amateurs seront ravis du soin accordés à la création de ce décor, qui permet une immersion (c’est le cas de le dire !) rapide et totale dans l’univers si particulier des sous-mariniers. Cette atmosphère extraordinaire bénéficie en outre du jeu d’une grande justesse de tous les acteurs, qui interprètent leurs personnages avec une conviction telle qu’on jurerait qu’ils ont eux-mêmes navigués en sous-marin.


L’autre tour de force de Petersen, c’est sa capacité à jouer sur la composante sonore avec une rare dextérité. Le sous-marin, ce bâtiment de guerre qui se cache dans les profondeurs, dispose d’un terrain de jeu virtuellement infini : des millions de kilomètres cubes d’eau. Mais, ce chasseur est aveugle, et lorsque remonter à l’immersion périscopique est exclu, il ne peut s’en remettre qu’à son ouïe pour se diriger. Cet instrument, le sonar – dont les opérateurs, d’une importance cruciale, sont judicieusement surnommés "oreilles d’or" – est également utilisé par ses ennemis, à la surface, pour repérer le sous-marin tapi sous les flots. Mortel lorsqu’il est dissimulé, le navire est extraordinairement vulnérable une fois détecté. Dans cette optique, en cas de poursuite ou de traque, chaque membre de l’équipage doit observer le plus grand silence, car même le bruit le plus feutré peut être capté par un sonar.


Wolfgang Petersen exploite alors la valeur du silence pour faire monter la tension lors des séquences de combat. Alors que le sous-marin, trop imprudent, a été découvert par la flotte adverse, le chasseur devient proie. La tactique adoptée par le capitaine consiste alors à se tapir au plus profond, et à attendre que passe l’averse. Ceci donne lieu à quelques scènes presqu’entièrement silencieuses, rompues par le vacarme terrible de l’impact des charges explosives et la cacophonie dramatique du métal qui se tord. Le réalisateur joue avec ce contraste des sons pour tenir le spectateur en haleine dans des scènes particulièrement spectaculaires, où – sous-marin oblige – il ne se passe paradoxalement pas grand-chose. Mais, la tension vécue par les sous-mariniers est vivace et démonstrative, et le public tremble avec eux au bruit des torpilles.


Dans le fond, le scénario du film ne suit pas de grande ligne directrice ; c’est plutôt un assemblage de segments, une succession de petites histoires (cela est probablement dû à son format de mini-série). Là où le film de Petersen est intéressant, c’est lorsqu’il s’attache aux hommes, à ces sous-mariniers qui vivent la guerre à soixante dans un univers autarcique. Les personnages sont suffisamment diversifiés et nuancés pour qu’on s’y attache, découvrant leurs histoires personnelles et leurs caractères. Du blanc-bec qui désespère de retrouver sa dulcinée au vieux loup de mer infatigable qui s’anime comme jamais lorsqu’il faut réparer les machines, en passant par l’idéaliste propret – le seul à se raser de près, par ailleurs.
Au passage, pour l’anecdote, durant la guerre froide, à bord de chaque sous-marin soviétique embarquait un officier politique, dont le rôle était de s’assurer que l’équipage ne déviait "moralement". Des propos séditieux tels que ceux que tiennent parfois les officiers allemands de l’U-Boot auraient alors été rapportés à terre (les soviétiques poussaient la paranoïa à limiter les missions en mer de leurs sous-marins nucléaires à un mois, par peur des désertions, là où les américains passaient six mois sous les flots avec une technologie équivalente).


« Das Boot » est un film sur l’univers des sous-marins de combat, qu’il retranscrit à merveille. La qualité de la reconstitution, presque documentaire, met l’accent sur l’ambiance et la vie à bord d’un sous-marin, proposant au spectateur de plonger sous les flots avec son équipage. Cela se fait donc au détriment du scénario, parfois peu passionnant. D’une durée conséquente (plus de trois heures), le film, sans doute l’un des meilleurs du genre, ravira les amateurs de sous-marins (personnellement, je suis très client de ce genre de chose), mais risquera d’ennuyer les autres. Néanmoins, à d’autres niveaux, c’est une histoire d’hommes intéressante, où l’on s’attache avec soin et force détails à poser un cadre. Enfin, c’est une réussite technique impressionnante, et un film où le réalisateur exploite la composante sonore pour proposer des scènes d’une tension et d’un suspense haletants.

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le 21 août 2015

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Aramis

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