En 1966, l’énième production du filon si méprisable pour la critique qu’est le western spaghetti ne devait apporter que son film supplémentaire. Si Sergio Leone conçoit le dernier épisode de sa trilogie avec la même formule : un cynisme assumé, garni de violences ritualisées au profit d’un grand spectacle baroque, ici, la dimension de sa production prend une envergure bien plus affichée. C’est la volonté de pulvériser le genre qu’il a lui-même initié, de faire taire le snobisme d’un cinéma mondain et intellectuel.
Le Bon, la Brute et le Truand se développe par la même simplicité narrative que ses précédents volets : la quête de cow-boys désenchantés par l’attrait d’un magot. Comme souvent chez Leone (et aux grands drames de la critique spécialisée trop déconvenue de ne pas se sentir intelligent par le visionnage d’un film) son ouvrage développe l’attrait d’un grand spectacle visuel, servi par un grand lyrisme baroque et d’une réalisation visant le contentement du grand public.
Si la forme se définit par la quintessence du style de son réalisateur, par une musique endiablée et un trio d’acteurs tout bonnement exceptionnel, c’est bien le fond de cette comédie picaresque qui fait basculer ce western épique dans la dimension des chefs d’œuvres intemporels : l’avènement de l’Histoire avec la Guerre comme subtile toile de fond.
Ici, la démonstration d’un talent et d’un génie s’expriment pour faire basculer une aventure filmique vers la plus subtile critique de l’une des plus grandes bêtises humaines. Jamais le nom de cette guerre n’est exprimé ; ni sa raison, son contexte ou ce qui oppose ses partis pris. Là où le trio archétypal est filmé avec emphase et lyrisme, l’évocation de la guerre se fait avec grande pudeur; les gros plans laissent places à des plans d’ensemble, le portrait de nos cowboys filmés comme des enfants se dissolvant devant l’horreur humaine. Le réalisateur décrit la guerre du point de vue de son absurdité : le conflit sanglant d’un même peuple, symbolisé par la bataille meurtrière d’un pont sans aucun intérêt stratégique…
Si Sergio Leone conte l’aventure rocambolesque d’un trio accaparé par l’appât du gain; le Bon, la Brute et le Truand ne sont pas simplement des personnages classiques d’un western conventionnel. A travers leur quête commune c’est la symbolique d’une époque, celle des années 60 et de l’évolution des mentalités d’une société de consommation, qui définit les actes de tels personnages, trop occupés à s’accaparer une richesse que de savoir la dépenser. L’or, l’argent, étant devenu une fin en soi plutôt qu’un moyen. La collectivité ayant disparu au profit des simples désirs personnels.
Comme le disait Serge Daney : un film à l’heure de son époque.