La nuit tombe doucement sur Berlin, les étoiles sont éclipsées par les lampadaires, les rues sont calmes mais on distingue faiblement une lueur au troisième étage d’un appartement de Schillerstrasse. Un chien errant traverse silencieusement le jardin qui introduit à la grande porte verte du bâtiment. Dans l’escalier en colimaçon, l’écho fatigué d’une conversation rebondit sur les murs. L’individualité des mots est imperceptible pourtant après une écoute attentive on peut deviner que le cinéma est au coeur des préoccupation. Dans le hall d’entrée, les propos se précisent. Il semblerait que la discussion a pour but de choisir le film qui sera projeté. Soudain une voix fend le calme du crépuscule.
“Je serais intraitable, ce sera le bon la brute et le truand.”
Le corps qui abritait la voix qui a brisé l’équilibre que la ville avait lentement bâti trône fièrement au milieu de la pièce, le regard perdu dans le lointain. Si le port du long chapeau rogné par le temps qui couronne son large front n’était pas ridicule dans un intérieur berlinois moderne, la vision de cet être majestueux aurait eu quelque chose du David de Michel-Ange. Dans un souci de simplification, ce miracle de magnificence sera désormais appelé « La Divine », mais le lecteur comprendra qu’il s’agit de moi.
Le film a une grande caractéristique qui se transforme petit à petit en défaut : sa longueur est extrême. Un film de trois heures peut devenir une épreuve pour un spectateur non-aguerri. Un film de trois heures d’intensité lente et silencieuse est une épreuve. Paradoxalement, la magnifique succession des scènes dénote d’un formidable sens du rythme, seulement un montage efficace ne suffit pas à tenir un spectateur en haleine pendant trois heure d’intensité silencieuse. Un sentiment de boucle s’installe rapidement -d’ailleurs je pense que le cinéma aime bien les boucles- les situations se font échos, s’empirent mais se répondent toujours. La musique vient appuyer ce sentiment car elle revient de nombreuses fois avec toujours une légère variante. Finalement l’histoire n’est qu’une excuse et elle semble éclipsée par le désir de s’essayer à ce formidable exercice de style qu’est le western. A l’image de cette critique.
Une ombre qui s’était jusque là tenu à l’écart, s’approcha du centre de la pièce. L’air sombre, le regard froid. Dans un geste vif et inattendu, il s’empara de la télécommande, eut un rire rauque et s’exclama : “Il n’est pas né, le jour qui me verra m’incliner et céder”. Il parut soudain en pleine lumière, laissant découvrir deux rangées de dents dont la régularité été approximative. Il transpirait la méchanceté et la traîtrise, ce soir là il ressemblait très peu à mon père, appelons-le donc “le Cruel”.
Le principal problème de ces répétitions, c’est qu’on comprend vite que les personnages principaux n’ont rien à craindre. Ils ne ratent presque jamais leur cible, ils survivent sans séquelles aux pires tortures et quand cela ne suffit plus, le destin, matérialisé par un obus ou une carriole, vient les sauver. Lorsque j’ai commencé à relever ce problème au sein de ma famille, ma mère eu une réponse simple : il s’agit d’une parodie. J’ai deux problèmes avec cette argument et l’un découle peut être de l’autre, premièrement, ne sachant rien du film ou du réalisateur je n’ai pas vu la dimension parodique. Le genre en lui même est tellement extrémiste que ce film ne détonne pas particulièrement. Évidemment je ne suis pas la plus attentive ni perspicace des spectateurs. Au cinéma comme au théâtre. Il m’arrive souvent de ne comprendre une histoire qu’après en avoir discuté avec d’autres spectateurs. Il m’a fallu deux lectures pour vraiment comprendre Roméo et Juliette, quatres écoutes pour pleurer face à Bérénice et trente visionnages pour comprendre le destin de la mère de Nemo. Pour autant j’ai toujours jusqu’à présent été capable de détecter une parodie. Le deuxième problème est le suivant : une parodie n’excuse pas des problèmes d’écriture, elle joue avec ou alors elle les subit. Et dans le cas d’un film de trois heures, je les ai subit.
La Divine se jetta sur lui. L’énergie fulgurante qu’elle déploya irradiait la pièce. Ils tombèrent tout deux à la renverse. Une lutte sans merci s'engagea mais mon dégoût prononcé pour tout les mots rapportant de près où de loin à une douleur physique m’oblige à laisser au lecteur une grande liberté dans l’imagination de ce combat. Pendant que “La Divine” frappait avec une puissance monumental dans le nez de son adversaire, la petit fille qui jusqu’alors était affalé sur le sofa, remarqua que la télécommande avait roulé sur le côté. Elle contourna discrètement la bataille et s’emparant du Graal moderne elle s’écria : “Je crois que ce soir, on va regarder un Hercule Poirot !” Cette figure angélique habité par une âme vicieuse était connu dans l’appartement, les uns y voyaient leur enfant, les autres y voyait leur soeur, mais tous y reconnaissait “La fourbe”
Une autre chose qui apparaît clairement dans ce film, c’est une maîtrise des profondeurs de champs. C’est beau. C’est magnifique. C’est somptueux. Mais c’est un peu chiant. Un plan large raconte beaucoup. Un plan large de désert raconte fatalement moins. Pourtant ces longue étendue d’images prennent un sens très différent pendant le dernier tiers du film, en effet les lumières jouant toujours sur les mêmes planches de couleurs, permettent de donner une importance toute particulière à la scène de la guerre. Les lumières change, les teintes aussi, et les images prennent ainsi un autre sens. Si le film est une parodie, je pense que cette scène là reste extrêmement politique dans son propos et lui permettre de déteindre met cela en lumière.
“Le Cruel” se releva et lentement s’approcha d’elle. Ils se regardaient. Tout le monde les regardait. Elle avait des yeux verts dans lequel on pouvait voir des forêts et des ruisseaux, des montagnes et des marais. Il avait des yeux couleur terre qui reflétait l’aridité des sols desséchés et craquelant de l’Afrique. Elle n’avait pas encore eu le temps d’avoir le front marqué par la vie, pourtant une petite rigole se dessinait déjà au dessus de son regard. Il avait des longs sourcils broussailleux qui s'abaissaient lentement et semblait converger vers un point centrale, à la racine de son nez. Une goutte perla le long de son front, elle la sentit descendre tranquillement le long de ses tempes puis s’arrêter quelques instants au coin de son oeil droit avant de parcourir le doux rebond de sa joue et de se répandre et de disparaître sur son cou. Il clignait lentement des yeux, sur le rythme de l’introduction du Requiem en Ré mineur de Mozart. Elle avait le regard du cerf qui sent venir ses derniers instants. Il avait dans ses yeux, l’envie et la colère réuni. Sa détermination et son courage ne suffisaient pas à cacher sa peur, elle tremblait légèrement. Comme un loup encerclant peu à peu sa proie, il sentait sa terreur et elle lui était délectable. Un nuage vint éclipser la lune. Le vert de ses yeux se ternit prenant une teinte de conifère, ses pupilles s’étendirent, on pouvait maintenant plonger dans le ténèbre de ses yeux. Il s’approcha. Elle recula. Leurs mouvements étaient imperceptibles pourtant chaque geste déplaçait des montagnes invisibles. Il réduisait petit à petit la distance qui les séparait. Elle tenait toujours plus fermement la télécommande. Il marchait tranquillement. Elle sentait son souffle s'accélérer. Bientôt ils n’étaient plus qu’à un mètre l’un de l’autre.
Je ne comprends pas pourquoi j’apprécie pourtant tant ce film. Je lui pardonne ses longueurs et je lui pardonne ses personnages. Je lui pardonne ses incohérences, je lui pardonne la scène où le bon et le truand passe à côté d’un camp militaire sans s’en apercevoir alors qu’ils entendent une mouche voler parce que cela permet une scène formidable. Je lui pardonne sa promotion du tabac parce qu’au final ses cigares manquent de coûter la vie à Blondie. Je lui pardonne ses facilités scénaristiques parce qu’elles permettent des scènes formidables. Je lui pardonne ses boucles parce qu’elle provoque de la satisfaction chez le spectateur. Je lui pardonne parce que putain il est bon le con. Faire des éloges c’est moins intéressant que des critiques alors je ne m’étale pas autant mais bordel qu’il est bon. J’en deviens grossière.
Elle sentait son souffle contre son front. Il sentait son odeur de vanille. Un bruit retentit soudain. La Divine s’exclama “Dans la vie il y a deux types de personnes, il y a ceux qui se bagarrent pour la télécommande et il y a ceux qui trouve des solutions alternative, vous, vous pouvez vous asseoir, vous avez perdu”. Elle avait profité du désordre pour allumer le projecteur à l’aide des boutons au dos de l’appareil et avait branché son ordinateur. Des images dansantes habillaient désormais le mur. Le débat était clos. L’ensemble des interlocuteurs tombèrent vaincus sur le canapé. Quand les premières notes de la célèbre musique retentirent, chacun eu un sourire satisfait. Comme quand le nom que l’on cherchait depuis un long moment nous revient enfin en mémoire. Dans l’obscurité de la pièce, les décors immenses des déserts américains semblaient prolonger l’appartement en lui offrant un horizon presque infini. Au loin le bruit des pas des passants passait presque parfaitement sur le rythme lancinant. Ces connards de piétons pourraient faire un effort !