J'apprécie beaucoup Bérénice Béjo, François Damiens et Florence Foresti, j'ai toujours plaisir à les retrouver et qui aime bien, châtie bien car il est désagréable d'être déçu par ceux qu'on aime et dont on attend beaucoup, trop parfois. Et bien, je ne châtierai aucun des trois, bien au contraire. Je prends une fois de plus mon encensoir, le porte à bout de bras, en le balançant délicatement de gauche à droite, puis de droite à gauche, en faisant les yeux doux à chacun d'entre eux et même à Vincent Cassel. Lui qui m'avait déçu grave il n'y a pas très longtemps, en se commettant dans Underwater, navet de chez navet. Allez Vincent, on oublie tout, tu t'es bien racheté dans Hors normes et je ne suis pas rancunier. Continue sur cette voie, ne te commets plus, surveille tes fréquentations, pour que ton regretté père, Jean Pierre, puisse continuer à être fier de toi.
Deux couples, Léa et Marc, Karine et Francis, quatre comédiens, Béjo, Cassel, Foresti et Damiens se côtoient, se fréquentent, bavardent, bistrotent, se taquinent et partent en vacances ensemble. Ce soir, ils sont au restaurant et c'est l'heure du dessert. Dessert ou pas? Dessert et café ? Café sans dessert ? Café ou dessert? Dessert avec combien de cuillères ? Le succès est garantie. Effet miroir. Nous avons tous vécu cette fin de repas et pouvons nous identifier parfaitement à l'un ou à l'autre.
Une chose différencie fondamentalement le théâtre du cinéma. Le premier est captif de l'unité de temps et de celle de lieu et toute écriture subit cette double contrainte. Ces contraintes exigent une écriture soignée sous peine d'une implosion en plein vol que des artifices de mise en scène ne rattraperaient que difficilement. Au théâtre, les dialogues sont la clé de voûte qui soutient l'édifice ; organisés en phrases ou laissés à l'état de mots et de silences, ils ne peuvent s'enrichir de regards et de sourires qui parlent d'eux-mêmes comme au cinéma. Avant d'être film, Le bonheur des uns... était pièce de théâtre et il en bénéficie.
La longue scène du restaurant est fondatrice. Les mots, les phrases, les sourires, les silences, les regards, les mimiques et les gestes sont la synthèse de ce qu'offre le théâtre et de ce que peut faire le cinéma. Les quatre protagonistes du film sont autour de la table, l'idée centrale du film est sur la nappe et le ton est donné. Unité de temps : c'est ce qui s'est dit ce soir-là, autour de cette table, qui va être développé pendant tout le film. Unité de lieu : tout commence à cette table conviviale, puis après de brèves incursions ailleurs le temps d'étayer, retour autour d'une autre table qui cette fois n'accueille plus, car le mal est fait.
Le bonheur des uns...Les petits points de suspension sont une invitation à poursuivre l'adage : ...fait le malheur des autres. L'adage fonctionne dans les deux sens, sans avoir la même signification toutefois. Si le malheur des uns fait le bonheur des profiteurs à l'affût, le bonheur des autres fait souvent le malheur des envieux.
Quand Léa écrit et fait éditer son premier puis son second roman par une maison d'édition prestigieuse, Karine est-elle jalouse ou envieuse ? Robert, le petit, suggère la synonymie, pourtant quiconque a été dominé par la jalousie ou envahi par l'envie sait au fond de lui-même que ce n'est pas exactement la même chose qui l'a taraudé.
Léa est vendeuse de vêtements pour femmes dans une grande galerie marchande. Ses clientes et nombreuses passantes sur son lieu de travail lui font découvrir autant de personnages dont elle devine parfois les inquiétudes et les angoisses et qui nourrissent surtout son imaginaire. Ses petites notes prises au quotidien deviennent peu à peu la matière de son premier livre.
Karine travaille dans une autre galerie, une galerie où l'art s'expose. Elle est un personnage truculent, toujours un peu à la parade, cultivant l' ambivalence. Elle est la Florence Foresti de la scène comme Bérénice Béjo est l'incarnation de la délicatesse souriante.
Francis est le mari de Karine, son inversement proportionnel. Calme, paisible et tout en solidité, il est la quille du bateau dont Karine est la voilure surdimensionnée et toujours hissée. Francis n'a pas encore vraiment trouvé sa voie. Au pied du grand arbre, toujours en fleurs, il est difficile de croître. Il tâtonne avec persévérance et nous surprend de jour en jour. François Damiens est excellent dans ce rôle.
Marc est cadre dans une entreprise qui est certainement du CAC 40 au vu de l'ambiance qui y règne. L'aluminium est l'avenir du monde mais à condition de contenir ces satanés chinois et de parler couramment le roumain. Dans cet univers impitoyable, on se surveille, on se guette, on suppute et on convoite en permanence. L'épanouissement dans la convoitise et dans l'ambition toujours prête à se faire dévorante.
La réussite de Léa est jalousée et enviée par Karine. Karine est d'abord jalouse car elle pressent la perte de son statut de dominante du groupe que forment les deux couples. Puis elle devient envieuse de ce qui fait le succès et le bonheur de son amie.
La jalousie de son mari trouve sa source dans la réussite de sa femme mais c'est moins cette réussite sociale qu'il envie que les succès possibles auprès d'autres hommes qu'il craint et qu'il perçoit comme autant de menaces. Il a surtout peur de la perdre et cette crainte se trouble de celle de la perte du statut social qui était le sien et qui est désormais celui de sa femme. C'est dans le regard des autres que Marc se voit dévalorisé et amoindri, ce d'autant plus qu'il connaît au même instant ce qu'il vit comme un échec professionnel. Léa a beau faire, Marc reste dominé par ses angoisses. Vincent Cassel est convaincant dans ce personnage de mari déstabilisé.
Chacun est dans son rôle, y joue sa partition, et les prochaines vacances communes dans une villa de rêve avec piscine et vue sur soi-même, s'éloignent peu à peu. Le roman de Léa, son incroyable succès ont tout bouleversé.
Je vous en ai dit beaucoup, trop peut-être, me reprochera certainement une de mes lectrices que j'agace parfois. Rassurez-vous, je ne vous ai pas dit le meilleur car il ne se raconte pas, il se déguste dans l'obscurité, devant l'écran.