C’est sans a priori qu’à 25 ans, j’ai regardé pour la première fois Le Bossu de Notre-Dame et le moins que l’on puisse dire est que j’ai fini complètement troublée.
À vrai dire, je ne me serais jamais attendue à ce qu’un film d’animation des studios Disney, même basé sur du Victor Hugo (1831), atteigne un tel niveau de maturité ! Il est réjouissant de constater d’un point de vue adulte qu’un long-métrage Disney peut sortir des sentiers battus avec, en l’occurrence, une histoire explorant des thèmes sérieux tels que la luxure, le génocide, l’antitsiganisme, le péché, et des scènes dures à regarder
(ex : ce moment déchirant où Quasimodo se fait humilier à la Fête des Fous (snif !)) ;
c’est en cela que je considère Le Bossu de Notre-Dame comme unique. Aussi, les chants grégoriens que l’on entend quelquefois durant les scènes fatidiques/d’action (ex: la scène du début) témoignent d’une audacieuse prise de risque pour ce qui est de la musique (bravo aux compositeurs Alan Menken et Stephen Schwartz !); celle-ci, qui est tantôt légère, tantôt coléreuse, semble ne faire qu’un avec l’esprit et le visuel du film, ce qui est remarquable.
À propos de visuel, si j’ai globalement été conquise par les décors soignés, ce qui comprend notre belle cathédrale de Notre-Dame, l’insertion d’images de synthèse pour faire la foule parisienne m’a dérangée par moment mais c’est sans doute mon côté vieille école qui ressort. J’ai conscience qu’à cette époque, les studios Disney commençaient à recourir à de nouvelles techniques d’animation donc je n’irai pas plus loin dans les critiques, surtout que l’ensemble reste très réussi.
Passons désormais au point le plus important du film à mes yeux: les personnages. Craignant dans un premiers temps que le film ne bascule dans le sentimentalisme exacerbé autour de Quasimodo (alias Francis Lalanne), j’ai apprécié le fait que l’équipe de production n’ait pas cédé à la facilité en le mettant en couple avec Esméralda – laquelle serait alors devenue une femme-trophée – dans le but de démontrer qu’avec de la persévérance, on obtient ce que l’on veut (ou plutôt, plus que ce dont on a besoin) et que l’amour va au-delà de l’apparence physique. Même s’il fallait édulcorer le matériau d’origine pour créer un Disney approprié, ce genre de dénouement m’aurait paru aussi irréaliste qu’expédié, dans le sens où il aurait amoindri l’aspiration première de Quasimodo, qui était de vivre libre au milieu des autres, et porté préjudice à mon deuxième personnage préféré, la bohémienne Esméralda. En plus d’être magnifique (‘suffit de voir son « écœurant » numéro de danse sur le parvis de la cathédrale pour être séduit), elle a une personnalité piquante et un sens de la justice qui la rendent irrémédiablement attachante. Son amitié avec le sonneur de Notre-Dame est fort bien amenée, de même que sa romance avec le tout en nuances Capitaine Phoebus. La qualité de cette adaptation relève à juste titre de la gestion des personnages et de leurs dilemmes respectifs. Idem concernant leurs interactions. Qu’il s’agisse de Clopin ou de l’Archidiacre, chacun apporte sa touche à la narration avec efficacité. En revanche, je me serais volontiers passée des gargouilles soi-disant comiques (et de leur chanson),
et je ne comprends pas que l’on ait fait la scène où les gitans manquent de tuer Quasimodo et Phoebus dans la Cour des miracles alors qu’ils sont censés faire mentir Frollo sur leur cas. Cet épisode vient légèrement contredire le propos humaniste du film et n’aide pas à les rendre entièrement légitimes dans l’environnement diégétique.
Sinon, presque tous les personnages sont plaisants. Et mon préféré est… le juge Claude Frollo ! Même s’il a beau être un archétype, celui de l’intellectuel, les studios Disney n’en ont pas fait un méchant stéréotypé qui lâche un rire diabolique toutes les cinq minutes en se targuant de faire le mal, et ça fait du bien ! Dès la scène d’ouverture qui le met en scène, on cerne son caractère à la fois majestueux et austère, sa complexité: il est tout ce qu’il y a de plus raciste, sadique, pervers, cruel, fourbe, et pourtant il est persuadé que ses actions sont justifiées parce ce qu’elles sont la volonté de Dieu, ce qui le rend d’autant plus dangereux et abject. Même quand son désir dévorant pour Esméralda lui fait perdre la raison, il persiste à croire qu’il est du côté des justes et il n’y a rien de pire qu’un salaud fini qui s’ignore ! Par sa vulnérabilité, Claude Frollo a le mérite d’être vraisemblable et c’est pourquoi il me fascine.
D’une manière générale, le film m’a éblouie au point d’intégrer le top-10 de mes Disney de chevet. Que ce soit en tant que critique de l’Eglise ou hymne à l’acceptation, Le Bossu de Notre-Dame fait mouche et mérite donc le qualificatif de pur chef-d'œuvre d'animation ! 9/10