Patrick Bouchitey est Philippe, le fils du directeur d’une colonie de vacances en Auvergne ; précieux et secret, il propose à son groupe d’enfants des activités intellectuelles comme le théâtre, tandis que Marc (Patrick Dewaere), qui est l’archétype du mono athlétique et fat que tout le monde suit, applique sa pédagogie par des marches et pratiques sportives au cours desquelles il s’égosille. Leur relation change radicalement le soir où Marc surprend Philippe grimé en femme dans la pénombre de sa chambre. Un jeu du chat et de la souris ambigu s’établi alors entre eux avec, d’un côté, Marc, qui se met à persécuter son collègue qu’il croit homosexuel (et qui éveille en lui une certaine fascination), et de l’autre, Philippe, qui cherche à s’en faire un ami par peur d’être dénoncé.

Pour son premier film, Claude Miller sonde ainsi les mécanismes de l’homophobie (même si les mots « homo[sexuel] » ou « gay » ne sont jamais prononcés dans la diégèse) et aborde conjointement les questions d’identité sexuelle, de genre et de désir. Je trouve incroyable qu’il parvienne à explorer des thèmes aussi sensibles dans le cadre d’une colonie de vacances pour garçons sans trop en faire et que cela ne bascule une seconde dans le glauque, en l’occurrence l’odieux amalgame pédocriminalité/homosexualité. Ici, l’environnement dédié aux loisirs vient contrebalancer la gravité des sujets traités, ce à quoi je dis « chapeau ! » parce que ce n’est pas un exercice évident et Miller tape dans le mille. Plus que tout, il remet en cause le mythe de la virilité et ses effets sociologiques pervers et pour ce faire, il évite avec subtilité le manichéisme souvent requis pour les sujets du conflit et de la dualité en mettant en scène des personnages formidablement nuancés.

Il faut dire que Bouchitey et Dewaere ont une superbe osmose et leur apportent de la hauteur avec justesse et intelligence, faisant qu’on n’a pas à faire à un gentil et à un méchant, à proprement parler, mais à deux êtres intimement fébriles, qui peinent à apprivoiser leurs différences et sentiments en raison de leur conditionnement moral. Par ce fait, si le frêle et cérébral Philippe, victime désignée de l’histoire, suscite la compassion dans un premier temps, il n’en devient pas forcément plus intéressant que son tortionnaire Marc. Non pas que le jeu de Bouchitey soit en dessous de celui de Dewaere, loin de là, je dirais même qu’ils sont aussi bons l’un que l’autre, mais son personnage est si taciturne et snob qu’en fin de compte on aurait tendance à le mettre dans le même panier que son opposé homophobe, ce qui est assez inattendu sans pour autant être inapproprié: aucun des personnages n'est immaculé, au contraire, ils ont tous deux leurs parts d’ombre et sont profondément humains.

C’est ainsi que Marc le macho, par ses approches, ses sous-entendus, finit par intriguer aussi, notamment lorsqu’il demande à son collègue « de [lui] rendre des petits services » en temps voulu, sans davantage développer sa pensée. Il n’y a pas à dire, Dewaere n’avait pas son pareil pour se glisser dans la peau de personnages plein de contradictions, violents mais fragiles. On ne saurait dire quelles sont ici les véritables intentions de son personnage qui, d’abord sûr de sa masculinité (hétéronormée), perdra de sa superbe en découvrant que son souffre-douleur, pourtant efféminé, a une petite amie (interprétée par la lumineuse Christine Pascal) tout-à-fait charmante et, qui plus est, tolérante, à qui il déplaît fortement. A propos, Chantal, seule présence féminine du film, est la figure formidable par laquelle Claude Miller encourage l’acception d’autrui et, d’une certaine façon, rompt avec la conception stéréotypée voulant qu’un homme peu viril comme Philippe soit instinctivement attiré par une personne du même sexe, ce qui est bien vu. Qu’il s’agisse du directeur prout-prout ou des monos blagueurs et égrillards, les protagonistes secondaires sont tous crédibles au point de me ramener à mon enfance, au temps où j’allais en colonie et au centre aéré.

Les scènes s’enchaînent avec beaucoup de naturel jusqu’au climax du film, c’est-à-dire la révolte de Philippe au bal costumé. Cette séquence est, ma foi, très singulière et étonnante ! Elle ne laisse pas indifférent et est franchement impossible à oublier.

On y voit donc le fils du directeur, maquillé et vêtu d’une robe rouge de danseuse pour l’occasion, inviter Marc-le-toréador à danser et, pour la première fois, retourner la situation à son avantage par la voie de la provocation sexuelle. Excédé du jeu, Marc le gifle (ou plutôt le « cogne ») et ils finissent par se bagarrer devant tout le monde.

C’est en vue de jouer cette scène que Dewaere aurait accepté le rôle et je vois pourquoi: elle est à la fois pathétique par ce qu’elle montre, soit deux adultes déguisés qui se mettent sur la gueule comme deux gosses dans la cour de récré, et remarquable par ce qu’elle démontre, à savoir que l’idéologie viriliste est aliénante pour tous les hommes. Et oui, Miller avait déjà tout compris ! Pas étonnant que ce film ait bénéficié d’un excellent accueil critique et commercial, que Truffaut en ait fait l’éloge.

Néanmoins, je déplorerais une scène ; la dernière. Mon Dieu, ce que cette scène est infâme !

Marc, qui est devenu un agent immobilier marié, fait visiter un appartement parisien à nuls autres que… Philippe et sa compagne Chantal (tiens donc) ! Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Tout le monde il est heureux, tout le monde il est rangé. Le désir qui torturait jadis nos ex-moniteurs n’existe plus. Et c’est la fin. Aïe aïe aïe…!

En fait, je n’en veux pas tellement au réalisateur d’avoir traité la relation quasi-sadomasochiste des personnages comme d’une phase puisqu’il fallait peut-être d’une solution facile pour ne pas dérouter le public de l’époque, qui sait, mais, même si je conçois que la tension entre les deux puisse s’être dissipée au fil du temps, cette conclusion est amenée avec si peu de délicatesse (si, avec celle d’un taureau de combat dans une arène !) qu’elle en ressort tout simplement indigeste. À quoi bon faire un saut spatio-temporel où ils ont fait la paix ? Autant les laisser là où ils en sont, c'est-à-dire dans leur colonie, avec leurs questionnements, leurs doutes respectifs, afin d’amener les spectateurs à la réflexion… Mais non, au lieu de ça, on tient à nous faire avaler qu’ils sont entrés dans le moule et au diable le propos initial ! Grrr… !

Enfin, mise à part cette faute, La meilleure façon de marcher (1976) reste une pépite d’ambivalence psychologique que j’aime énormément et recommande à n’importe qui, que ce soit pour l’implication des acteurs que pour l’intention de Claude Miller de promouvoir le respect des différences via des thématiques jusqu’alors évitées dans le cinéma français. 9/10

MalaurieR
9
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le 26 juil. 2023

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