Privé de son scénariste habituel Paul Gégauff, Chabrol écrit seul ce film devenu depuis un classique et réussit très probablement son film le plus hitchcockien, lui qui fut avec Truffaut un des fervents admirateurs du cinéaste lorsqu'il était critique aux Cahiers du Cinéma. On retrouve la plupart de ses thèmes fétiches, comme la description parfaite et juste d'un décor provincial et campagnard d'une petite commune périgourdine, notamment avec la scène du mariage et du repas de noce aux gens tous très typés. Il étudie, observe, ausculte, dévoile ces comportements un peu obsolètes aujourd'hui, et semble s'en amuser.
Et puis, insidieusement, il s'intéresse à la psychologie de 2 personnages complexes, en réduisant de plus en plus la distance entre eux, d'où naît une étrange et pas si saugrenue romance sentimentale entre cette institutrice belle et cultivée et ce boucher fruste et peu instruit. Parallèlement à cette bouleversante histoire d'amour, Chabrol installe un suspense policier, bien que le film ne soit pas à proprement parler un polar, mais plutôt une étude de moeurs faite de rapports qui s'établissent entre ces personnages. Entre l'institutrice et cet homme dont elle a deviné la véritable nature, sans pour autant le livrer à la police, s'installent une gamme d'émotions et de sentiments commandés par la compréhension, la pitié et l'humanité. Pour elle, le boucher n'est pas un monstre mais un être malheureux.
Chabrol place entre tout ceci quelques scènes effrayantes qui restent dans les mémoires, comme celle de la sortie de la classe des fillettes qui visitent une grotte avec leur institutrice, et où le sang coule sur la tartine de pain, un effet tout à fait hitchcockien né d'un suspense étouffant. Le récit est magistralement conduit grâce à la simplicité de son intrigue, la sobriété des acteurs et l'écriture classique qui saisit personnages, objets, décors dans leur apparence immédiate, il se fonde sur la surprise, l'angoisse, l'exploration des zones sombres de l'âme humaine et les paradoxes du bien et du mal.
Vedette des grands Chabrol de cette époque, Stéphane Audran porte tout le film avec ce personnage discret, émouvant et d'une profonde vérité féminine, et jamais Jean Yanne ne fut aussi exceptionnel que dans ce rôle aussi difficile que pathétique. Le tournage du film a eu lieu à Trémolat, petit village de Dordogne que je connais très bien, situé à 33 km de Bergerac et célèbre pour sa boucle de la rivière qui décrit un coude grandiose qu'on appelle dans la région un cingle, on peut l'admirer depuis un belvédère aménagé ; Chabrol avait été séduit par ce village très rural et son atmosphère paisible qui sert d'écrin à ce drame criminel, ce qui le rend d'autant plus effrayant.

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le 26 févr. 2018

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