Vous connaissez l'histoire de Jesse James, comment il a vécu et comment il est mort ? Eh bien, vous serez sans doute surpris par celle que raconte Le Brigand bien-aimé... Sorti en janvier 1939, le film d'Henry King n'est bien sûr pas dépourvu de qualités, mais l'exactitude historique n'en fait définitivement pas partie. Entre chronologie farfelue et pieuses omissions (les débuts des frangins James dans les guérilleros de Bloody Bill Anderson, vers la fin de la guerre de Sécession, sont ainsi totalement passés sous silence), cette version romancée et idéalisée de la carrière du plus célèbre hors-la-loi de l'histoire des États-Unis est une hagiographie assumée. L'oraison funèbre, prononcée à la toute fin du film par le si peu objectif éditorialiste, résonne d'ailleurs comme un véritable panégyrique :
Jesse était un hors-la-loi, un bandit, un criminel. Même ceux qui l'aimaient le savent. Mais nous n'avons pas honte de lui. Je ne sais pas pourquoi, mais même l'Amérique n'a pas honte de Jesse James. Peut-être parce qu'il était audacieux et sans loi comme nous aimerions tous l'être. Peut-être parce que nous comprenons qu'il n'était pas totalement responsable de ce que ces temps ont fait de lui.
Mouais... Réputé pour avoir tué entre 12 et 17 hommes, le fameux outlaw est ici présenté comme une victime collatérale des odieuses manières de la compagnie des chemins de fer, expropriant les braves paysans du Missouri pour faire passer une ligne sur leurs terres. Littéralement forcé à passer du mauvais côté de la loi, Jesse (Tyrone Power) entame alors une carrière de braqueur de trains et de banques, secondé par son frère aîné Frank (Henry Fonda) et une poignée d'autres compagnons. Cette existence dangereuse l'oblige hélas à renoncer à couler des jours heureux avec sa fiancée - puis épouse - Zee (Nancy Kelly), et plus tard son fiston Jesse. Son histoire se termine tragiquement, alors qu'il venait tout juste de raccrocher enfin les pistolets et accepté de partir en Californie avec femme et enfant (!), d'une balle tirée dans le dos par « un traître et un lâche dont le nom ne mérite pas d'être mentionné. »
Premier western à être tourné en Technicolor, Le Brigand bien-aimé connut à sa sortie un vif succès public et critique, marquant les débuts de l'âge d'or du genre. Si l'on fait abstraction de la version complètement déformée de la réalité qu'il nous sert, le film a effectivement de quoi séduire. La maîtrise d'Henry King se ressent dans chaque plan, aussi bien dans le face-à-face entre les deux frères que dans la superbe attaque du train ou les très spectaculaires scènes de poursuites à cheval. Les décors sont particulièrement soignés, et les bandits jeunes, beaux, séduisants, presque nobles, ce qui renforce le caractère romanesque du propos. Au niveau des acteurs, on peut déplorer les lacunes de Tyrone Power (en charisme) et Nancy Kelly (en charme) dans les rôles principaux, mais le reste du casting est à la hauteur, d'Henry Fonda qui apparaît ici dans son premier western à Randolph Scott dans un bon second rôle de shérif honorable, sans oublier un supporting cast comprenant les excellents Brian Donlevy, Donald Meek, Henry Hull, John Carradine et Jane Darwell. Un bon divertissement, donc, comme Hollywood sait si bien en faire pour glorifier les héros de l'Amérique.