Cinq ans après Combien tu m'aimes ?, Bertrand Blier signe Le Bruit Des Glaçons, un film cynique à souhait sur le combat et la vie quotidienne de la maladie, ici, le cancer, et se permet même de se payer un casting de rêve avec les célèbres Albert Dupontel et Jean Dujardin, mais aussi la plus discrète Anne Alvaro. On s'attend donc à un film surbandant, mais la presse est tiraillée entre d'un côté l'avis que ce film est un navet et de l'autre, l'avis qu'il est simplement très bon. Qu'en est-il vraiment ?
Scénaristiquement, on ne pourra pas dire que l'histoire est très originale, mais c'est la vision qu'a Blier de la maladie qui sublime ce film. La personnalisation du cancer, personnage cynique à souhait, donne une dimension toute autre à la maladie. Ainsi, on assiste à la vie de Charles Faulque (Jean Dujardin), ex-écrivain devenu alcoolique (ou l'était-il déjà avant d'être écrivain ? Lui-même ne s'en rappelle plus), divorcé, et donc seul dans sa grande villa du Sud de la France et pour seul compagnie sa bonne, Louisa (Anne Alvaro), sa pute russe, Evguenia (mais je vous rassure, pas Sokolov), et son seau à glace dans lequel trempe éternellement du vin blanc, son vin blanc. Arrive un beau jour où l'on sonne à la porte et où se présente son cancer (Albert Dupontel), que seul Faulque peut voir (évidemment, c'est le sien, pas le vôtre). Faulque le rejette d'abord, le hait, tente de le tuer à maintes reprises, mais las de ces tentatives, il se met par l'aimer, comme un ami de longue date, et son cancer devient alors son seul ami. Ce qu'on apprécie par dessus tout dans le scénario, c'est l'exquise alliance du dramatique et de l'humour loufoque (cf. scène du début), et les scènes tragiques sont alors perlées d'humour noir et blessant, mais qui fait pourtant mouche (cf. scène du départ de la femme de Faulque). De plus, le spectateur sera ravi de faire partie du film. En effet, à plusieurs reprises, les personnages s'adressent à vous, vous regardent dans les yeux à travers la caméra, en particulier au début lorsque Jean Dujardin s'adresse directement à nous : "Une histoire faut quand même que ça tienne debout. Alors des emmerdes, oui, mais pas toutes les emmerdes.". C'est un luxe qu'on ne peut se payer que dans trop peu de films (mais évidemment, ce luxe doit rester rare, sinon ce n'en serait plus un). Cependant, on notera un bémol pour l'arrivée du cancer de Louisa. Blier nous donne également une vision fantasmagorique de la guérison : l'amour. Car selon Blier, l'amour est le remède au cancer, et, de façon plus générale, à la maladie. Etrange, mais pourquoi pas, on peut trouver ça niais comme on peut trouver ça touchant. Pour ma part, je dirai que je suis assez tiraillé entre ces deux avis, donc je ne prendrai aucun parti.
Les dialogues, eux, sont superbement agencés. On a ainsi droit à de l'humour noir mais qui passe tout seul et fait mouche, même pour ceux qui n'aiment pas tellement ça de manière générale. "(Le cancer) Vous ne voulez pas mourir ? - (Faulque) Ben non, pas vraiment. - Mais comment ça se fait ? Vous avez une vie de merde ! - Ah bon... Vous trouvez ?", "(Faulque) Moi j'étais là-haut, sur ma terrasse, mon seau à glace dans les bras, et j'regardais partir ma vie. J'trouvais ça normal. Les mecs qui boivent trouvent tout normal. - (Le cancer) Et vous sanglotiez ? - Mais vous vous étiez pas là ! C'était avant votre arrivée, on est en plein flashback ! - J'suis un mec qui peut être là bien avant d'arriver !". Tout simplement succulent. Evidemment, ce n'est pas de la grande comédie non plus, ne vous attendez pas à vous casser des côtes pendant le film, mais les répliques prêtent parfois à rire vraiment, souvent à pouffer, quasiment toujours à sourire. Une réussite.
Pourtant, le film possède un gros point noir : sa bande originale. En plus d'être trop inexistante, les rares apparitions de celle-ci ne nous livrent que des mélodies plutôt banales et classiques des scènes de comédie, de tragédie, de drame. Seule une ou deux retiennent notre attention. Dommage.
Enfin, on se régalera du jeu d'acteur. On admire un Dupontel cynique, méchant, qu'on adore au début, qu'on déteste ensuite, et un Dujardin remarquable dans son rôle de poète maudit, d'écrivain déchu et d'alcoolique notoire. Anna Alvaro joue également bien, mais elle ne touche pas autant que Jean Dujardin. Et hélas,Emile Berling, interprétant le fils de Faulque, Stanislas, joue relativement mal, avec de plus un air de wesh (permettez-moi l'expression). On lui pardonnera d'autant moins étant donné son expérience assez avancée dans le milieu cinématographique (carrière débutée en 2008, avec de plus cinq films à son actif) et son âge plutôt convenable pour avoir déjà avoir acquis un certain talent (en effet, même sous ses airs de gamin pré-pubère, il avait en réalité 18 ans lors du tournage).
Blier nous livre donc ici une oeuvre touchante, sombre, drôle, et dont on s'imagine un tout autre dénouement à chaque stade de la maladie, c'est-à-dire de la relation Faulque-Cancer. Bertrand Blier a donc réussi à faire d'un scénario ma foi peu original une véritable tragicomédie. Hélas, certains points noirs, notamment la bande originale du film, ternissent quelque peu l'image qui nous reste de ce long métrage, et fait donc chuter sensiblement la note finale. Cependant, il reste un très bon film, mais ne parvient pas à se hisser au rang d'inoubliable, bien qu'incontournable.
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