Le Capitaine Volkonogov s’est échappé par Freddy Klein

Y a-t-il un ennemi du peuple dans cet immeuble ? Y a-t-il un ennemi du peuple dans cette salle ? Y a-t-il un ennemi du peuple sur ce site consacré au cinéma ?

Que chacun se livre à une rapide mais saine introspection avant de répondre. La déloyauté, la haute trahison, l'espionnage comme les mauvaises pensées sont autant de raisons de faire immédiatement un pas en avant ou de lever la main.

Si vous êtes taraudé ou simplement légèrement effleuré par un doute, vous êtes déjà sur la bonne voie et nous saurons vous aider à préciser votre pensée et à mettre de l'ordre dans vos idées avec les méthodes spécifiques que nous maîtrisons parfaitement et qui nous permettrons non seulement de vous faire confesser les fautes réelles que vous avez commises, mais même de vous faire avouer celles que vous pourriez commettre et que vous ignorez encore. L'aveu préventif est toujours salvateur et l'avenir de la cause comme de la mère patrie en dépend, croyez-moi.

Le capitaine VOLKONOGOV est un officier zélé du NKVD, la police politique de Joseph Staline. La traque puis l'arrestation des ennemis du peuple et de sa révolution sont sa mission ; l'extorsion d'aveux et les exécutions sommaires sa spécialité. Nous sommes en 1938, en Union Soviétique, et le Petit père des peuples règne avec sa douceur légendaire et sa bienveillance incommensurable sur ses sujets.

L'heure est venue de s'interroger sur la fidélité, la loyauté, la pureté idéologique et l'efficacité du NKVD et cela se traduira par une réévaluation pouvant éventuellement être revue à la baisse de ses membres afin de procéder aux rééquilibrages et aux ajustement nécessaires. En langage stalinien clair cela s'appelle une sainte inquisition accompagnée d'une purge, avec arrestations et exécutions à la clé.

Le capitaine VOLKONOGOV est de ceux dont l'élimination conduira à coup sûr à la purification et au renforcement. Il ne veut cependant pas se soumettre à cette épuration, ce qui en soi est déjà une preuve de sa culpabilité. Non seulement, il se soustrait aux injonctions de ses supérieurs mais il nourrit le projet absurde à leurs yeux de gagner sa place au paradis en révélant à la famille des bénéficiaires les méthodes spécifiques du NKVD et les conditions dans lesquelles les faux aveux ont été arrachés.

Le capitaine Volkonogov s'est échappé...et la meute est à ses trousses. Volkonogov fuit, un dossier avec des fiches de police sous le bras. Il ne fuit pas tout droit devant lui, mais de famille en famille pour leur dire la vérité et obtenir leur pardon. Il pense emprunter ainsi le chemin de la rédemption pour échapper à l'enfer dont son collègue Verretennikov récemment exécuté lui a révélé les affres.

L'irrationalité, l'absurdité même, des purges qui conduisent une dictature à retourner le revolver contre ses propres adeptes et exécutants se font plus criantes encore quand Volkonogov rencontre les membres des familles qu'il veut informer.

Une petite fille, qui est fière de son père, ancien membre des Brigades internationales qui ont combattu aux côtés de Républicains le fascisme en Espagne, fait le constat que le NKVD est plus efficace que les franquistes. Prisonnier en Espagne, son père n'a pas pas parlé sous la torture. La conclusion de sa petite fille est sans ambages. S'il a parlé sous la main des membres du NKVD, c'est sans doute qu'ils étaient meilleurs tortionnaires que les factieux espagnols. Nous sommes à deux doigts d'une fierté patriotique pour le moins pervertie.

Un père croit sur parole la propagande officielle qui a fait de son fils un traitre et un félon, ou feint de le croire. Les révélations de l'officier dissident éveillent ses soupçons et ne sont en fait peut être qu'une tentative pour le piéger à son tour. Il assomme et ligote celui qui est peut être un envoyé du NKVD et par précaution le dénonce pour le faire arrêter. Tout est suspect, tous sont des suspects en puissance.

Une vieille dame, ancienne institutrice et mère d'une ennemie de peuple désormais neutralisée, vit en exil dans le grenier de l'immeuble, abandonnée de tous. Le capitaine Volkonogov lui apporte un morceau de pain, lui dispense quelques soins et fait sa toilette qui devient funéraire car la vieille dame meurt dans ses bras. Avant de mourir elle lui caresse le front. Le capitaine du NKVD se sent enfin pardonné, il peut donc mourir en paix. Alors il s'enfuit par les toits, essuie les coups de feu de ses poursuivants et finit par se jeter dans le vide.

Ces policiers qui martyrisent, extorquent des faux aveux qu'ils mettront ensuite en scène en vue d'un procès, s'ils ne procèdent pas eux-même dans la foulée à une exécution sommaire par une balle dans la nuque, ne sont pas des monstres. Ces hommes qui veillent ensuite à ce que les suppliciés soient bien agencés dans la fosse commune pour qu'un maximum de corps puissent y tenir, ne sont pas plus barbares que les premiers. Ils sont des fonctionnaires qui obéissent aux ordres et remplissent leur mission avec conscience. Ils sont des membres du parti et ils sont des hommes terriblement ordinaires.

Ce que Hannah Arendt a écrit après le procès d'Adolph Eichmann s'applique tout autant à tous ceux qui commettaient les exactions dans le camp communiste.

A cinquante ans d'intervalle, le film de Natalia Merkoulova et d'Alexeï Tchoupov entre en résonance avec l'Aveu de Costa Gavras. A un moment où l'autre bête immonde ressurgit un peu partout en Europe. Ne nous y trompons pas, les régimes soviétiques et nazis étaient des frères jumeaux qui servaient les mêmes fins et étaient donc parfaitement interchangeables.

Il y a des films qu'il faut aller voir et d'autres à revoir absolument, comme il y a des livres à lire et à relire à intervalles réguliers. Il en est ainsi de Eichmann à Jérusalem : Rapport sur la banalité du mal de Hannah Arendt et de Vie et destin de Wassili Grossman.

Freddy-Klein
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le 31 mai 2023

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Freddy Klein

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