Le Carnaval des âmes est à n’en pas douter un film de revenants à twist (et filmé du point de vue du revenant en question, et non plus des vivants), qui peut certes sembler banal à quelqu’un de contemporain habitué aux frasques des Shyamalan et autres Aménabar, mais n’en reste pas moins captivant sur bien des plans. D’autant que contrairement à Sixième Sens ou aux Autres, qui conservent une forme de réalisme tangible malgré leur caractère fantastique, le film de Herk Harvey possède un rapport à la réalité très altéré: impossible de savoir ce qui relève de la réalité ou du rêve. L'héroïne du film passe de l'un à l'autre de façon impromptue et quotidienne, comme lor de ces scènes où elle semble ne plus pouvoir interagir avec le monde. Même le prélude à l’accident de voiture qui bouleverse sa vie (?) semble bien trop effréné, le choix de plan et le montage trop étranges pour que l’on puisse mesurer à partir de lui un basculement de la réalité au surnaturel. Impossible également de savoir si nous traversons le monde des vivants, celui des morts, ou bien un monde parallèle où les revenants existent. On a d'ailleurs souligné-à juste titre- le côté très lynchéen avant l’heure du Canaval des Ames, pour sa capacité à entremêler le rêve et une forme de réalité en brouillant les pistes de manière à égarer son spectateur.
Le caractère fantômatique de l'oeuvre tient avant tout au caractère de son héroïne, qui semble en-dehors de toute réalité ; le visage froid et le regard vide de Candace Hiligoss, ainsi que son attrait pour les lieux isolés (ce parc d'attractions abandonné exerçant une véritable fascination sur elle) viennent confirmer cette impression sans même que le surnaturel n'ait besoin de s'en mêler. Mais s'agit-il vraiment de surnaturel, d'ailleurs ? Est-ce un hasard si le visage du fantôme qui la poursuit (incarné par Harvey Herk lui-même) lui apparaît souvent dans une surface réfléchissante-miroir, vitre, point d’eau ? Ne serait-il pas, comme le lui suggère un psychiatre au cours du film, une projection d'elle-même ? En ce sens, l'ultime scène du film ne serait peut-être pas à prendre au pied de la lettre, mais de façon métaphorique : cette femme, prisonnière du traumatisme de son accident, ne serait "hantée" par rien d'autre que par sa peur de la noyade, représentée à plusieurs reprises par des cadavres sortant de l'eau. Le Carnaval des âmes ne tranche jamais, préférant balader son spectateur à travers une atmosphère trouble tout au long du film.
Le résultat, malgré le petit budget manifeste du film, est splendide : par ses jeux de clair-obscur inspirés de l'expressionisme allemand dessinant des ombres inquiétantes, son travail sonore ou même quelques jeux de montage judicieux (la scène où l'héroïne, possédée par le spectre, se met à jouer un air d'orgue profane dans l'Eglise où elle travaille, "coupe" ses mains du reste de son corps comme si ces dernières ne lui appartenaient plus) rendent une atmosphère d'une beauté mortuaire. A partir de cela, le film n'a pas besoin de beaucoup plus pour angoisser son spectateur: voir avancer des spectres souriants aux yeux charbonneux suffisent à son cauchemar. Ajoutons à cela un excellent investissement des décors, dont ce parc d'attraction visité de fond en comble par l'héroïne, et on obtiendra un film très abouti, raffiné et visuellement magnifique, qui ne mérite pas l'oubli dans lequel il est tombé par la suite.