Deuxième film que je vois avec Victor Mature ces derniers temps après La Proie (Cry of the City, de Robert Siodmak), et nouvelle confirmation qu'il s'agit d'un acteur au potentiel largement sous exploité qui s'est souvent retrouvé dans des rôles ingrats — des péplums indigents, particulièrement. Même s'il ne brille pas particulièrement chez Henry Hathaway à l'occasion de ce Kiss of Death (Le Carrefour de la mort), il y a quand même un petit quelque chose qui se dégage de cette stature, dans cette incarnation d'un malfrat présenté comme victime des circonstances. Bon, le gars décide de braquer une bijouterie (et de s'enfuir par l'ascenseur, grossière erreur) car il est sans le sou à la veille de Noël avec une famille à chérir, m'enfin, au-delà du portrait à la serpe délicatement suranné de l'homme prisonnier de son conditionnement social, le film déploie un narratif beaucoup plus intéressant par la suite : la tragédie de l'homme emprisonné pris en étau, avec d'un côté le système judiciaire faisant pression sur lui pour faire tomber divers truands, et de l'autre côté les menaces qui pèsent sur sa femme et ses enfants.
Et le gars résistera pendant un certain temps, refusant de jouer le rôle du mouchard et croyant que ses proches veillent sur sa famille... Mais cela ne tiendra que jusqu'au jour où il apprendra le suicide de sa femme et le placement de ses enfants en orphelinat. Gros coup dur — et accessoirement bizarrerie de montage, puisqu'on ne verra à aucun moment le personnage de sa femme, coupée au montage (par la censure probablement), engendrant quelques passages anormalement obscurs. La charge morale est assez forte, assez conventionnelle et représentative de son époque, sans pour autant verser dans le plus pur puritanisme 1940s. D'ailleurs Kiss of Death ne joue pas vraiment sur les terres du film noir classique et ne remplit pas l'intégralité du cahier des charges.
Un des intérêts manifestes du film tient à la présence d'un second rôle marquant, Richard Widmark, pour sa toute première apparition dans un long métrage. Sa composition d'un tueur psychotique complètement flippant est mémorable, et tient essentiellement à deux aspects : tout d'abord, ce sourire de gros psychopathe qu'il traîne du début à la fin, un petit rictus franchement crispant ; mais aussi cette scène dans laquelle il illustre sa déviance totale, à la recherche d'un gars à faire taire (pas de bol, il tombe sur sa mère, paraplégique, qu'il attache à sa chaise et balance violemment dans les escaliers). Un personnage sinistre et glacial qui offre quelques sinuosités bienvenues à ce chemin sacrificiel bien balisé entre rédemption (certes forcée) et réinsertion sociale.
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