A main levée, sans un mot
Ah Melville. Devant un film comme le cercle rouge on comprend sa réputation sans frontière tant ce bijou transpire son empreinte et impressionne à tout point de vue. Y impressionne d’abord le sens du cadre de son auteur, parant chaque séquence d'un esthétisme ravageur, faisant des décors, qu'ils soient intérieurs ou extérieurs des lieux chargés d'une atmosphère caractéristique de son cinéma. Ces tonalités froides, ces points de vue qui surprennent, l’homme se plie à un festival graphique pendant près de 2h10 qui permet de construire un monde si réaliste que dès les premiers tours de bobine on chausse son borsalino pour prendre place, arme au poing, dans la voiture des truands qui peuplent son récit.
Le cercle rouge est en premier lieu un film de gangster dont l’intérêt principal est de mettre en perspective les liens qui les unissent. Des hommes de tempérament qui évoluent en terrain miné et ne peuvent s'offrir le luxe de commettre une erreur, chacune de leurs actions est millimétrée, froide, efficace, calculée. Melville épouse ce contexte à merveille, armée d’une caméra précise qui accompagne les gestes de ses bandits avec minutie, à l'image du prodigieux casse central du film, point de pivot de l'histoire.
Toute cette séquence est terriblement maîtrisée, portée par un mutisme qui apporte à la fois un charisme terrible aux trois acteurs impliqués mais également une tension extrême chez le spectateur. Ce dernier est sur les dents, désireux que le casse soit une réussite et dans ce sens, il est à la fois confiant mais également sur le qui vive, persuadé qu'une bricole va venir perturber cette symphonie beaucoup trop parfaite qui s’exprime avec violence malgré le silence qui l’accompagne. Une scène emblématique, d’une efficacité redoutable, qui complète avec classe le portrait que déroule Melville.
Les acteurs sont tous sur un même pied d'égalité, très développés, aidés en cela par la durée d'un film qui prend son temps pour leur donner de l'ampleur. Bourvil est méconnaissable en flic investi, donne le meilleur malgré la maladie qui le rongeait au moment du tournage (je ne l'avais jamais vu comme ça à l'écran, quelle allure), Gian-Maria Volonte trouve un rôle tout en subtilité, Delon apporte ce magnétisme qui lui est propre et qu’il avait déjà prêté à Melville pour Le Samouraï, parfait pour ce genre de rôle. Enfin, Yves Montand est on ne peut plus touchant dans sa partition d'ancien policier ayant succombé à l'appel de la bouteille pour oublier son métier ingrat. Il est, à mon sens, le personnage le plus fouillé du cercle rouge, sa première scène est d'une intensité extrême, audacieuse car complètement en décalage avec le film, elle s'y inscrit pourtant avec brio, posant en l'espace de quelques minutes toute l’ambiguïté du rôle.
Tout ce petit monde est dirigé d'une main de maître et mis en scène dans un script intelligent parfumé aux vapeurs de trahison. Dans cette quête du coup ultime, les trois malfrats ont sur le dos, non seulement la police, mais aussi les pitbulls qui peuplent leur monde. Tout est réglé au millimètre, les scènes s’enchaînent dans une dynamique folle qui confère au Cercle rouge un rythme impressionnant. Jamais la durée ne se fait sentir tant l'histoire est passionnante et d'une fluidité exemplaire.
Seule la fin pourra sembler un peu trop vite expédiée. Mais elle conclut avec un tel panache l’histoire d'amitié qui s’est planquée sous la dynamique mafieuse du film, qu’elle parachève à merveille Le Cercle Rouge, lui donnant un ultime soupçon de style, une révérence assumée, efficace et sans quiproquo. La marque d’un grand, à n’en pas douter.