"Pour être résistant, il faut être inadapté"

Après deux décennies bercées de doux rêves dans lesquels la France entière avait été résistante, Marcel Ophüls remet les pendules à l'heure dans ce documentaire exceptionnel, composé uniquement des témoignages de ceux ayant vécu cette période. Et le tableau de cette France battue, humiliée et paralysée n'a pas grand chose à voir avec l'idéal gaulliste qui dominait jusque là.

Toute personne qui s'intéresse un tant soit peu à cette période doit voir ce film. Il constitue pour moi l'un des témoignages les plus justes jamais présentés sur cette période, et l'un des moins manichéens. Contrairement à ce qu'on a pu dire, à aucun moment le film ne fait passer la France pour un pays de collabo ou de traîtres. C'est éminemment plus complexe que ça. D'ailleurs, la plupart des personnes interrogées sont d'anciens résistants qui se contentent de décrire ce qu'ils ont vu en toute sincérité, et parfois avec beaucoup de douleur et d'amertume.

L'une des grandes forces du film est que, malgré ses plus de 4h, aucun témoignage ne se ressemble, et aucune des personnes interrogées ne ressemble a une autre. Toutes ont leur parcours tortueux, leurs convictions plus ou moins claires, leur opinion de cette époque. Cette complexité permet de dresser un portrait formidablement complet de cette période. Parmi ces personnages hauts en couleur, on retrouve le résistant royaliste anticommuniste, le SS de vieille noblesse française, l'officier allemand rancunier, le futur ministre Pierre Mendes France, la star cycliste locale un peu gênée, etc.

Tellement de choses restent en mémoire après avoir vu ce film, et tellement de phrases, qui donnent à chaque fois un nouveau visage de l'occupation : "j'ai assisté à une débandade en 1940, et c'est pas beau à voir", "l'occupation c'est une période où les gens passaient leur temps à chercher quelque chose", "on devait mettre des barbelés devant nos soldats pour les protéger des résistants", "tout le monde disait je ne savais pas, et moi qui suis un pauvre sot je savais", et ma préférée : "pour être résistant, il fallait être inadapté". Comprenne qui pourra.

A voir absolument.