Il n’est plus parmi nous aujourd’hui, mais la légende de Kirk Douglas perdure. S’il y a bien un rôle qui a marqué sa carrière, lui permettant de prendre un tournant majeur, c’est bien celui de Midge Kelly dans Le Champion, en 1949. Un choix audacieux et payant, et qui va lui ouvrir de nombreuses portes.
La boxe, sport de combat par excellence, a été un support de choix pour de nombreux films, notamment pour sa portée très symbolique, son universalité et sa popularité. Un combat pour la réussite sociale dans Gentleman Jim (1942), un combat contre la vie dans la saga Rocky, ou encore un combat contre soi-même dans Raging Bull (1980) : les films dont on pourrait dire qu’ils sont « de boxe » ont souvent montré la lutte et les déboires d’anonymes à l’héroïsme variable, montrant avant tout leur humanité à travers leurs actes. Il est intéressant de voir un film comme Le Champion avec le rétroviseur, et d’y voir, déjà le déploiement de toutes les caractéristiques associées à ces films.
Postérieur à Gentleman Jim, Le Champion adopte un point de vue et un ton bien différents du film de Raoul Walsh. L’opiniâtreté payante et irrésistible de Jim Corbett est ici délaissée au profit des doutes de Midge Kelly, et des difficultés qu’il rencontre. Volé, roulé, marié de force, il ne mène pas une vie facile, avec son frère qui le suit dans ses mésaventures. « I want people to call me Mister » dit Midge quand il témoigne de l’injustice dont la vie fait preuve à son égard, et du simple respect qu’il voudrait qu’on lui montre. Quand la boxe croise son chemin, c’est d’abord une opportunité d’éponger une petite dette, avant d’être celle d’exploiter un talent et de faire naître une vocation. Alors que la voie du champion commence à se tracer, que la réussite commence enfin à sourire à notre héros, un élément déterminant vient assombrir un tableau déjà peu radieux : le pouvoir.
Car, dans Le Champion, il est avant tout question de pouvoir. Midge Kelly voulait le respect, mais à force de vaincre ses adversaires, de gravir les échelons et de s’enrichir, il devient puissant. Il a trouvé le respect, auprès d’un public qui ne le connait que de loin et pour ses exploits sur le ring, mais il n’a plus celui de ses proches. Au début du film, nous sommes comme ce public, voyant celui qui était alors déjà champion monter sur le ring, fort, puissant, jusqu’à ce que nous découvrions un homme plein de fragilité et de nuances. Il oublie une femme qu’il avait aimée, il délaisse son manager et son frère, il joue avec les femmes… L’homme ambitieux devient machiavélique, n’hésitant pas à abuser de la confiance des autres pour parvenir à ses fins. Ce pouvoir galvanise Midge, mais il a surtout pour effet de le corrompre et même de le détruire.
C’est probablement sur ce point que Le Champion réussit le mieux : dresser le portrait très humain d’un homme aussi méprisable par certains de ses actes que susceptible de générer de l’empathie à cause des malheurs qui l’accablent et du sort qui s’acharne sur lui. Le spectateur est toujours tenté d’apporter un jugement moral au personnage, mais il est toujours, dans une certaine mesure au moins, confronté au fait que nul n’est fondamentalement bon ni mauvais, et que les choses sont souvent plus complexes qu’il n’y paraît. On pourrait d’ailleurs être tenté de voir, dans le portrait et la destinée de Midge Kelly, des similitudes avec le personnage de Chuck Tatum dans Le Gouffre aux Chimères (1951), où Kirk Douglas campe un autre personnage ambivalent (art dans lequel il excelle), ambitieux, machiavélique, guidé par le pouvoir et la réussite, au point d’être dépassé. Le Champion reste assez classique dans l’ensemble, proposant quelques idées de mise en scène intéressantes, mais il réussit surtout dans la construction de ce personnage aussi complexe qu’humain, examinant avec intelligence les mécanismes du pouvoir, et établissant des codes récurrents des futurs films qui feront de la boxe le cœur de leur intrigue.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art