En seulement deux films Tom Moore se pose comme une nouvelle valeur sûre de l'animation, pour le meilleur compte tenu de son pittoresque. Pour le pire également : son Chant de la mer est sûrement d'une grande beauté plastique, il est aussi d'un conformisme prodigieux. Pas celui de Shrek 3 ou de Gang de requins, mais celui d'une animation post-moderne focalisée sur le rétroviseur [jusque dans la technique], 'courant' dominé par les Japonais de Ghibli. Comme Brendan et le secret de Kells, ce second opus de Tom Moore puise directement dans le folklore celtique. Le temps de l'action est situé à la fin des années 1980 pour renvoyer à l'entrée dans la mondialisation de l'Irlande, mettant a-priori en péril la transmission (de tradition orale) des légendes locales.
Le cinéaste irlandais lui-même réussit cette entrée. Co-produit dans cinq pays européens, son film est une magnifique illustration animée, flamboyante sur la forme (l'imagerie selkie, les dessins à l'aquarelle, l'inspiration auprès de Paul Henry et des expressionnistes comme Kandinsky), d'une neutralité toute universaliste sur le fond. La notion de sentiments est utilisée comme un aiguillon, le parti-pris étant de louer leur importance et leurs vertus, contre la tentation mortifère de la répression (la sorcière y voit un « poison »). La mission des enfants consiste alors à réparer le cœur et donc le moral de leurs parents. Pour le reste, il est question de prendre conscience de la mort et [des fragilités] de la famille, de jauger le Bien et le Mal – thème recyclé dans un esprit manichéen façon Dr Jekyll & Mr Hyde, avec la vieille et son exorcisme (ou sa 'purge').
Toutefois ce sous-texte balourd ne gêne jamais les mouvements de Song of the sea. Moore sait comment bercer le spectateur et orchestre des péripéties de conte, toujours très douillettes et chaleureuses, même dans l'adversité. Égayée par son déluge de paysages, créatures et architectures exotiques, la séance devient 'positivement' lénifiante. Ce n'est pas très propice à l'apprentissage (plutôt à ouvrir des brèches), mais excellent pour créer un climat intimiste, passer la séance dans une 'bulle' (avec la très belle bande-son de Bruno Coulais et de Kila, groupe de celtique) ; et probablement, enchanter nombre d'enfants et d'émotifs inconditionnels. Sur ce terrain-là il est éloquent et fait son office comme substitut (ou héritier loyal) à Miyazaki (alors occupé à confectionner Le vent se lève), mais en restant dans son ombre contrairement à ce que pouvait promettre Brendan.
https://zogarok.wordpress.com/2016/02/13/le-chant-de-la-mer/