Critique tirée du livre "1001 films à voir avant de mourir".
Attention, Spoil!
Pleurant et rageant, la petite Tootie rompt le rang familial et sort en courant dans la neige. Elle se met à détruire ses bonhommes de neige, symboles de tout ce qui est stable et rassurant dans son existence, avec une force et une violence inquiétantes. Qui aurait jamais pensé que Judy Garland en train de chanter "Have yourself a Merry Little Christmas" pourrait avoir un effet aussi dévastateur sur la psyché fragile d'un enfant?
"Le chant du Missouri" est une des comédies musicales les plus inhabituelles et les plus tendues de l'histoire d'Hollywood. Il mêle les deux genres de prédilection de Minnelli, comédie musicale et mélodrame, et qui plus est, dans ses moments les plus noirs, lorgne vers le film d'horreur. C'est aussi un film qui autorise, aujourd'hui comme alors, des interprétations nettement opposées. S'agit-il d'une célébration innocente et naïve des valeurs familiales traditionnelles? Ou bien d'une réflexion sur tout ce qui peut déchirer de l'intérieur l'unité de la famille? En d'autres termes, est-ce un divertissement réconfortant qui accepte juste assez de ce qui est problématique afin d'adoucir et de renforcer le statu quo, ou bien s'agit-il d'un geste subversif au coeur du système hollywoodien, d'un irrépressible hurlement de rage comparable au massacre par Tootie d'êtres de neige imaginaire?
Oui, ce film où Garland soupire et fredonne "The Boy Next Door", ou se balance avec un groupe de passager pittoresques en chantant à tue-tête "The Trolley Song". Le projet de Minnelli est discrètement ambitieux. Il veut à la fois raconter l'histoire d'une famille gentiment moyenne ainsi que les défis auxquels elle fait stoïquement face, et celle de la société énergique du début du XXè siècle, illustré par des événements comme l'Exposition Universelle.
La sensibilité artistique de Minnelli exprime aussi bien le désir ardent des femmes que l'angoisse masculine, et un excès des deux rend cette comédie musicale infailliblement mélodramatique. Le patriarcat prend la forme câline et bougonne de Leon Ames, qui essaie vaillamment d'affirmer son autorité face à une maisonnée féminine à une écrasante majorité. Les petits copains qui défilent sont, de la même façon, manipulés et informés de leur destin légitime de mâles.
Pour ce qui est des défis esthétiques, Minnelli et ses complices ont fait un travail exceptionnel pour intégrer les chants et les danses à ce flot saugrenu d'incidents et conte de fées. Les chansons commencent comme des phrases qui n'ont l'air de rien, elles sont parlées ou fredonnées dans la rue ou à la porte. Puis elles s'interrompent dès que l'intrigue reprend ses droits.
Sous le masque élégant du style et le vernis civilisé des bonnes manières, seule Tootie est capable d'exprimer des émotions sauvages et indomptées, comme le prouve son duo exotique avec Judy, "Under the Bamboo Tree".
[Adrian Martin]
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