Wolalaaaa... Quelle déception ! Avant toute chose, je suis un grand fan du livre de Donna Tartt dont le film est adapté, que j'ai lu cet été et trouvé formidable. Son souvenir étant encore très frais dans ma mémoire, je ne saurais dire objectivement si Le Chardonneret est un bon film mais une adaptation ratée ou s'il s'agit tout simplement d'un mauvais film.
Une chose est sûre, c'est un train lancé à toute allure à travers les plus de 1000 pages du bouquin. Tout y est survolé, mais il manque l'essentiel : la force de l'amour de Théo pour sa mère, le vide et la détresse laissés par sa mort, ses addictions (à la drogue, au tableau, à Boris...), ses bouées de sauvetage (Pippa, Mrs Barbour, Hobbie)...
Si John Crowley parvient à ne pas se montrer trop démonstratif, trop mélo ou trop frileux, notamment à l'heure de filmer des ados à peine sortis de l'enfance se camer et picoler, il s'évertue à rester à la surface du bouquin, ne parvenant jamais à faire mieux qu'effleurer tout ce qui faisait sa puissance, notamment la tempête,ou plutôt la brume, dans le crâne de Théo. Ce n'est pourtant pas faute de s'être entouré de bons acteurs. Du plus jeune au plus âgé, ils sont tous à la hauteur des événements, avec une mention spéciale pour Jeffrey Wright et Nicole Kidman. De ce côté là, pas de fausse note, même si la plupart, à commencer par Ansel Elgort dans le rôle principal, ont dû se trouver fort dépourvus quand le script fut venu, forcés de se contenter des miettes des personnages écrits par Donna Tartt.
Si adapter n'est pas photocopier et impose des choix qui ne satisferont jamais pleinement les fans d'une oeuvre, le rôle d'un metteur en scène quand il adapte un livre, une BD, un comic ou que sais-je, est de capter ce qui en fait l'essence ou, a minima, de s'approprier le bordel pour transposer à l'écran ce qui résonne en lui et en faire ainsi quelque chose de totalement nouveau et personnel. Ce que Quentin Tarantino a par exemple brillamment fait avec Jackie Brown, adaptation unanimement saluée de Punch Créole d'Elmore Leonard. Autant dire que c'est pas du tout le délire ici, John Crowley ayant probablement été choisi parmi une liste de réalisateurs prometteurs et talentueux pour faire du cash en salles avec l'adaptation d'un prix Pullitzer vendu à quelques millions d'exemplaires.
Il ne lui restait alors que la possibilité de trouver ce qui irriguait le roman pour en faire le cœur de son film mais là encore, il s'est foiré dans les grandes largeurs. Ainsi, le film semble nous dire à grand renfort de flashbacks que Théo a été traumatisé par l'attentat au cours duquel sa mère a perdu la vie alors que c'est la mort de celle-ci qui a foutu sa vie en l'air. Certes, le film s'ouvre sur une phrase qui le dit clairement, mais ça n'est qu'une sorte de note d'intention sensée expliciter quelque chose qu'on ne verra pas pendant 2h, notamment parce que le réalisateur de Brooklyn a choisi de transformer cette jeune femme pleine de vie et fan de peinture en une sorte d'ombre dont le visage n'apparaît d'ailleurs qu'à la toute fin. Dans le bouquin, c'est une figure solaire dont la perte est appuyée par les multiples et touchantes descriptions qu'en font Théo et les gens qui l'ont connue (personnages qui sont d'ailleurs tous passés à l'as, à "l'exception" de l'avocat, qu'on entend que 2 minutes au téléphone, et encore, il n'a été gardé que parce qu'il s'agit d'une scène pivot dans l'histoire), notamment dans les 300 premières pages, des pages qui construisent pas à pas la lente dégringolade de Théo et justifient sa difficile reconstruction.
Dans le film, trop de scènes tombent comme un cheveux dans la soupe (en plus de s'enchaîner à la vitesse des zéros sur le compte en banque de Bernard Arnault), là où la sensibilité et la virtuosité de Donna Tartt lui permettaient de multiplier avec délectation références romanesques, parenthèses érudites et revers de fortune sans s'embarrasser de quelques légères invraisemblances. Une narration étourdissante qui m'a fait gober les 1101 pages du livre en moins d'une semaine alors que les 2h29 du film m'ont semblé trop longues. Vous savez ce qu'il vous reste à faire.