Le château ambulant est un long-métrage d’animation japonais réalisé en 2004 par Hayao Miyazaki. Il est l’adaptation libre de l’œuvre de Diana Wynne Jones, auteure britannique de romans fantastiques. La principale protagoniste est Sophie, jeune femme de 18 ans victime du sortilège de la jalouse Sorcière des Landes qui lui donne l’apparence d’une nonagénaire. Incapable de révéler sa nouvelle physionomie à sa famille, elle s’enfuit. Sophie trouve finalement refuge dans le château ambulant d’Hauru. Elle devra se confronter à Mme Suliman, l’ancienne mentor de celui-ci, et découvrir le secret du mal-être que cache le jeune sorcier au plus profond de lui.
On retrouve dans ce long-métrage certains thèmes de prédilection du réalisateur. On peut noter la force de caractère de l’héroïne féminine, l’absence de manichéisme et de nombreuses scènes de vols et courses-poursuites aériennes. Les personnages des «méchants» sont toujours aussi ambigus et les apparences sont quant à elles trompeuses tout au long du film. L’esthétique steampunk et l’omniprésence des machines volantes originales sont également présentes.
Cependant, Le Château ambulant se différencie sur plusieurs aspects du reste de la filmographie de Miyazaki. En effet, l’histoire d’amour est ici assumée du début à la fin, se clôturant par un baiser, là où les autres restaient platoniques (cf. Princesse Mononoké, par exemple). Il se lance également dans le voyage temporel, qui ne figure pas dans l’œuvre originelle dont le film est inspiré. Les portes du château ambulant donnent sur différents lieux, à différentes époques. Le schéma de la boucle temporelle est entièrement imaginé par Miyazaki et permet au spectateur de comprendre certains éléments de l’intrigue, comme par exemple la facilité déconcertante que Sophie a pour pénétrer le château et y rester.
Une fin heureuse aussi assumée est également plutôt rare chez le réalisateur qui préfère d’ordinaire laisser la place au doute chez ses spectateurs. Si ce fameux doute est bel et bien présent, ce n’est cependant pas pour les mêmes raisons.
Le thème qui se détache le plus nettement des autres est sans aucun doute celui des apparences. Il est en effet très important et dense malgré sa simplicité supposée, cachant un véritable jeu de masques et de faux-semblants ainsi qu’une véritable déconstruction des personnages. L’aspect le plus emblématique de cette déconstruction est l’apparence physique Sophie. Malgré ses airs juvéniles au premier abord, elle semble avoir l’esprit d’une personne âgée. Il n’est donc pas si étonnant que cela de la voir s’habituer rapidement à sa nouvelle physionomie, y trouvant même du réconfort.
Les états d’âmes de Sophie sont représentés à travers son apparence. Elle est pleine de doutes, de peur, et ne se trouve pas belle: son apparence de vieille dame semble tendre également vers cette idée. En réalité, cette malédiction devient même un soulagement pour la jeune fille, et c’est sans un regard en arrière qu’elle quitte sa vie monotone et ce qui lui reste de famille. Elle dit se sentir mieux, n’avoir plus rien à perdre. Sophie trouve ainsi une sorte de paix intérieure et accepte ce que d’autres personnages verraient comme une effroyable affliction.
La jeune femme parvient cependant à rompre le sort durant un certain temps lors de moments clés: quand elle assume ses sentiments et ses choix par exemple. Timide et renfermée au début du film, elle apprend peu à peu à s’affirmer et à prendre ses propres décisions. Elle choisit sa vie et ne la subit plus. Enfin en accord avec elle-même, elle reprend donc sa véritable apparence, à l’exception de ses cheveux, abordés rapidement un peu plus tard dans cet article. Et vous savez ce que l’on dit: lorsqu’une femme change de coupe de cheveux, elle change de vie !
Hauru est lui aussi bel et bien représentatif de ce thème. Tout d’abord, il endosse de multiples identités au cours du long-métrage. Il utilise les noms de Pendragon (peut-être ici un rappel au Roi Arthur ?), Jenkins ou encore Hauru, qui signifie Hurlement. Ceux-ci lui permettent d’entretenir l’anonymat et la légende autour de lui: on l’imagine tel un sorcier cruel, voleur des cœurs de ces dames. L’une des scènes prouvant notre propos selon lequel le jeune homme est si attaché aux apparences est la suivante. Lorsqu’il change de couleur de cheveux par inadvertance, il est pris d’un accès de colère quand leur véritable teinte est révélée. Nous réalisons qu’il est seulement un jeune sorcier fuyant le regard des autres, mais surtout le sien, grâce à son jeu de masques et ses réactions excessives. Cela lui permet également de fuir ses responsabilités, incarnés par les deux autres sorcières.
Enfin, un dernier jeu d’apparence est visible chez ce personnage. Son pacte avec le démon Calcifer le transforme en rapace terrifiant, ce qui ronge son âme et l’éloigne peu à peu de sa véritable apparence humaine. C’est sous le regard de Sophie qu’il apprendra à mettre de côté ses craintes et son égocentrisme exacerbé.
Nous réalisons à la fin du film que son comportement était principalement dû au fait qu’il ne possédait pas de cœur, et était donc resté coincé émotionnellement quelque part dans son enfance. Cette réalisation un peu tardive peut être perçue comme un aspect négatif, ne permettant pas au spectateur de comprendre les réactions d’Hauru et donc limitant l’empathie qu’il accorde à ce personnage.
La plupart des autres personnages sont aussi victimes des apparences. On note notamment Marko qui se déguise en vieillard pour affronter le monde extérieur, la Sorcières des Landes qui revient peu à peu à son physique véritable… C’est donc bien l’un des thèmes principaux de ce film, bien que les masques se retirent parfois afin de dévoiler la vérité.
Miyazaki nous montre-t-il pour autant l’importance de l’apparence ? Non, je ne le pense pas. Il nous prouve seulement que la beauté est dans les yeux de celui qui la voit. Ce n’est pas pour son apparence qu’Hauru aime Sophie, mais pour ce qu’elle est à l’intérieur. Et c’est cela qui compte plus que tout, puisque cet intérieur se révèle durant l’apogée de l’acceptation que porte Sophie envers elle-même.
Dans ce long-métrage plein de poésie, Miyazaki revisite également l’univers du conte, ce qui peut être souligné grâce à l’analyse de quelques personnages. Bien que ces derniers soient très variés et méritent chacun un petit paragraphe, je ne m’attarderai que sur certains d’entre eux.
Commençons avec Calcifer. Cette petite flamme est le démon lié à Hauru. Nous apprenons dans l’épilogue qu’il est en réalité son cœur, se consumant littéralement. Ce dernier possède une grande valeur symbolique, le feu étant synonyme de passion et d’amour. Miyazaki met donc en scène dans ce film certaines expressions liées à l’amour, notamment lorsque la Sorcière des Landes vole littéralement le cœur d’Hauru, l’étouffant presque sous sa poigne.
Ayant conclu un pacte avec le jeune sorcier, il doit désormais faire marcher le château ambulant, qui n’est qu’un tas de bois et de ferraille sans lui. Il est donc tout autant vital au sorcier qu’il ne l’est au château en lui-même, puisqu’il lui donne vie et ferait presque de lui un personnage à part entière. A l’exception de quelques scènes, tout se joue dans le foyer de ce dernier. Miyazaki doit faire preuve d’habileté et d’imagination afin de renouveler la vision de celui-ci, et c’est un pari réussi. Le lieu semble bel et bien vivant, monté de toute pièces, déconstruit, reconstruit et puis détruit… On assiste à une véritable évolution, révolution de ce château aux allures steampunk. Le démon y accepte la présence de Sophie et conclue un marché avec elle: il la délivrera de son maléfice si elle perce le secret du sien. Nous apprenons donc en même temps qu’elle, lors du dénouement, que Calcifer était auparavant une étoile.
Ce motif de l’astre revient à de multiples reprises au cours du film. C’est d’ailleurs un motif très utilisé dans les contes. Lors du dénouement, la couleur des cheveux de Sophie vire à l’argent, comme si la découverte de la véritable nature de Calcifer l’avait marquée à jamais. Si l’étoile est synonyme d’espoir dans les contes, elle s’associe ici aux malédictions, lors des sorts jetés par les sorcières, ou bien sur le schéma du maléfice que présente Sophie à Hauru. On renverse donc bien les thèmes principaux du conte en les remodelant à la sauce Miyazaki !
Madame Suliman peut aussi être un bon témoin de cela. La sorcière royale semble au premier abord tout avoir de la gentille magicienne. Cependant, sous cette apparence trompeuse de bonne fée se cache une femme perfide, pleine de rancœur et convoitant le pouvoir. Elle n’hésite pas à déclencher une guerre apocalyptique afin de parvenir à ses fins et d’accomplir ses désirs de vengeance, blessée dans sa soif de domination. Véritable détentrice du pouvoir royal, c’est elle qui décide ou non de maintenir la paix et choisit, pour son amusement personnel, de laisser libre cours à la guerre.
Le personnage de Navet renforce également cette impression d’immersion dans le conte. Cet épouvantail magique, qui n’est pas sans rappeler celui du Magicien d’Oz, suit et soutient Sophie tout au long de sa mésaventure. Son attitude de gentleman sied à merveille à son allure, avec son pardessus, son chapeau haut de forme et son nœud papillon. Si ses interventions restent rares et font de lui un personnage secondaire, il tient un rôle décisif dans le déroulement de l’histoire. Il permet à Sophie de trouver le château ambulant et détient les clés du dénouement heureux. C’est en réalité le prince du royaume opposé dont la mystérieuse disparition avait déclenché la guerre et c’est grâce à un baiser de Sophie que Navet reprendra sa forme humaine: on retrouve ici l’un des codes du conte, le baiser qui révèle les apparences véritables.
Ces multiples allusions et références à l’univers du conte subtilement bousculé se mêlent parfaitement bien au réalisme des voitures, bateaux et autres engins volants auxquels Miyazaki nous a d’ores et déjà habitués.
Un autre motif apparaît également dans ce film, bien qu’il ne reste qu’en arrière plan, et lui apporte une dimension très réaliste: la guerre. Elle est ici abordée de manière plutôt générale. Cet aspect du long-métrage n’est en effet pas clairement explicité. Si cela peut porter à confusion et déranger certains spectateurs, je le vois plutôt comme un parti pris de la part du réalisateur, une volonté d’appuyer sur le côté inutile de la guerre, insensé. Cette impression est renforcée lorsque Madame Suliman la fait cesser d’un simple claquement de doigts. La lutte pour le pouvoir n’est qu’un vulgaire amusement pour les magiciens qui jouent avec des vies humaines, totalement ignorée par ceux qui devraient en être les chefs d’orchestre (notez la désinvolture du Roi, frappante). Le Prince disparu apparaît alors aux yeux de certains spectateurs comme une solution de facilité mettant un terme à la guerre et nous laissant pour la plupart légèrement sceptiques.
La présence de ce thème dans la filmographie de Miyazaki a sans doute à voir avec son enfance durant la guerre et l’apologie du pacifisme qui lui est attribuée. Une dénonciation de la bêtise guerrière, sans aucun doute, nous est ici présentée grâce à ce discours antimilitariste très clair.
Cette histoire, qui aborde des thèmes très denses et compliqués, reste accessible au public, qui ne peut que s’émerveiller devant sa magie. Chaque visionnage nous permet d’en découvrir de nouveaux aspects, le scénario étant très complexe et nécessitant plusieurs niveaux de réflexions. On découvre ainsi au fur et à mesure les différents enjeux de l’intrigue sans pour autant en saisir directement la portée immédiate.
Les motivations des personnages sont difficiles à comprendre et c’est à la fois une qualité et un défaut: en effet, certains spectateurs pourraient se perdre dans toute cette confusion. On pense par exemple que la Sorcière des Landes est la principale «méchante» de cette histoire, avant de découvrir au milieu du film Madame Suliman. Le spectateur comprend alors que l’histoire va bien plus loin: c’est un affrontement entre différents sorciers.
Certains points ne sont cependant peut-être pas assez exploités et laissent ainsi de nombreuses zones d’ombres à la fin du visionnage. Le spectateur reste perplexe. On pourrait notamment imaginer que le but principal de la protagoniste serait de retrouver son apparence juvénile. Hors, cela semble vite devenir le cadet de ses soucis, cette dernière s’improvisant femme de ménage. J’ai moi-même eu beaucoup de mal à apprécier cet aspect-ci du film dans un premier temps, m’attendant sans cesse à ce que Sophie redevienne «jeune et jolie». Cependant, au fil de mes visionnages, j’ai appris à comprendre et à apprécier ce choix.
Ainsi, le film traîne effectivement parfois un peu en longueur et laisse en suspens certaines questions, qui se noient dans la profusion d’idées du réalisateur. Ces dernières sont si nombreuses que Miyazaki s’y perd parfois. A créer tant de personnages originaux, il devient difficile d’en explorer la substance. Cet univers très dense n’est donc pas forcément exploité ou exploré comme nous aurions pu le souhaiter, certes. Cependant, il faut avouer qu’il nous en envoie plein les yeux.
Ce film reste donc pour moi une œuvre qui, malgré sa complexité déstabilisante, parvient toutefois à nous faire voyager. Les couleurs et les graphismes sont emplis de vie, de mouvements, et parfaitement maîtrisés. Le château ambulant a tout d’un rêve. On n’en comprend pas forcément tous les éléments, mais au fond, est-ce si important ? Ces niveaux de lectures multiples, bien que complexes, peuvent être considérés comme une grande qualité, car ils permettent au spectateur de visionner le film plusieurs fois, et de le redécouvrir sous un nouvel angle à chacune d’entre elles. Et pour cela, Monsieur Myazaki… un grand merci !
L'article complet et illustré, c'est ici : https://thewritingsonthewallsite.wordpress.com/2016/06/10/throwback-on-le-chateau-ambulant/