Il était une fois un sorcier qui se refusait à grandir et qui, par générosité, s’était privé de son cœur. Avouons que Le château ambulant n’est pas d’un abord aisé. Ce long métrage tient une place à part dans la filmographie du maître japonais. Si nous retrouvons ses tropismes habituels :
• de la magie noire, des démons élastiques et des sortilèges ;
• une Europe de la fin du XIXe siècle à la technologie steam-punk contemporaine de celle du Château dans le ciel ;
• des machines volantes fascinantes, dont une flopée d’“aéroclettes“ du regretté Albert Robida, mais destructrices ;
le scénario surprendra par sa complexité.
L’ouverture est somptueuse. Par bribes, nous apercevons un toit, un mur, une cheminée, avant de découvrir une fascinante construction dans un décor bucolique. Myazaki assemble cabanes et maisons, mâts et tourelles de vaisseau de guerre, machinerie à vapeur et cheminées pour bâtir une sidérante construction. Animée sur ses quatre pattes, le Château est un personnage à part entière qui souffle, court, râle, sourit et que nous apprendrons à aimer.
Myazaki est le plus grand des coloristes. La première moitié du film est d’une infinie beauté. Nature irénique et ville paisible. Qui chantera la beauté des pavés brun parisien et des murs terre de Sienne, des boîtes à chapeaux parme et garances, des jardins vert pomme et rose tyrien, des fantassins aux dolmans bleu pastel, des robes jaune paille, rouge nacarat et bleu nuit ? Tout est harmonie, paix et beauté sur fond de valses joyeuses orchestrée par un éblouissant Joe Hisaishi. Sans transition, la ville s’assombrit. Les allègres défilés militaires se font tristes et douloureux retours de guerre. L’ennemi est là. Les ombres d’avions se précisent et les bombes pleuvent. Les Japonais n’ont pas oublié le feu du ciel. La cité s’embrasse.
Il n’est que temps de vous présenter les personnages. Mais qui donc est le héros ?
• Devons-nous nous arrêter sur la jeune, sérieuse et effacée modiste ? Sophie a suscité la jalousie de l’ombrageuse Sorcière des Landes qui l’a vieillie de soixante-dix ans. L’auteur aborde franchement un sujet rarement traité dans les dessins animés, la grande vieillesse. Sophie se meut avec difficulté, souffle, grince, mais ne perd pas courage. Elle lutte et vivra.
• Est-ce Hauru ? Le beau et égoïste sorcier est un étrange héros, vaniteux, fragile, pusillanime, versatile et prisonnier de son image. Il se découvrira courageux au contact de Sophie.
• J’avoue ma préférence pour Calcifer, le démon du feu grognon mais généreux.
Miyazaki confie à son scénario les apparences d’un conte traditionnel, tout en subvertissant la structure. Le roi est stupide et inconsistant, le prince charmant réduit à un son rôle de navet bondissant. La mauvaise sorcière s’apaise et change de camp. La bonne fée, Madame Suliman, se révèle sournoise et belliciste. Va comprendre. La mère de Sophie est une espionne. Sa sœur est gentille, mais disparaît après la première séquence. Le chien amical s’avère incapable de gravir un escalier. Seule concession au mythe, Myazaki nous offre un rare, dans son œuvre, happy-end. Les tourtereaux se marieront. Le couple convolera avec sa famille recomposée, un Calcifer libéré, le chien impotent Hil, la faussement sénile Sorcière des Landes et le jeune et dégourdi Marco. Dernière surprise, Le Château ambulant se fera volant !
Joyeux Noël.
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