Plus besoin de présenter Akira Kurosawa, l’un des réalisateurs japonais les plus connus et talentueux, qui a par la même occasion su marquer l’histoire du cinéma de son empreinte en réalisant une flopée de films de renom et de très grande qualité. C’est ma cinquième rencontre avec le réalisateur, après le mystique Rashomon (1950), l’épique Les Sept Samouraïs (1954), le culte Yojimbo (1961) et sa suite Sanjuro (1962).
Le réalisateur japonais adapte ici le Macbeth de Shakespeare et se réapproprie l’oeuvre pour la contextualiser dans le japon médiéval, une période qu’il affectionne beaucoup. Washizu (interprété par Toshirô Mifune) et Miki, deux généraux, rencontrent un esprit mystérieux dans une forêt. Celui-ci leur apprend que Washizu est destiné à devenir le prochain maître du Château de l’Araignée, mais que ce seront les descendants de Miki qui lui succéderont. Ainsi, si les deux généraux accueillent la nouvelle avec une certaine légèreté, la femme de Washizu va tout faire pour que la prophétie se réalise. Très philosophique, presque fantastique par moments, Le Château de l’Araignée est un film qui plonge dans les racines de la nature humaine et y sonde les aspects les plus négatifs pour les faire éclater au grand jour.
Similaire à un Rashomon dans l’intention, il présente les Hommes comme des êtres faibles et influençables, lâches et prêts à tout pour survivre et prendre du galon. Ici, Kurosawa ne se contente pas d’adapter à sa manière l’oeuvre de William Shakespeare, il se l’approprie et en tire un travail tout à fait personnel mais surtout magnifié par son fond et sa forme. S’il s’agit presque de ce que nous pourrions qualifier d’un pamphlet sur l’ambition et l’envie, il s’agit également d’une superbe oeuvre cinématographique. Quand Les Sept Samouraïs permettait à Kurosawa d’exploiter toute sa technique sur trois heures et quart de film, il parvient ici à la concentrer en un peu plus d’une heure et demie, et ce avec une maîtrise dont lui seul avait le secret.
Chaque plan s’observe et s’admire avec la même fascination. La composition très soignée et construite du réalisateur parvient à créer une véritable ambiance propre au film, lui donnant tantôt l’aspect de peintures, tantôt l’aspect de pièce de théâtre. Les scènes d’extérieur se déroulent souvent dans un léger brouillard, créant une atmosphère mystérieuse, laquelle est encore plus présente lors des scènes en forêt, lieu le plus représentatif des aspects mystique et fantastique du film. Symbolisant l’inconnu, camouflant le danger, le brouillard est l’un des éléments-clé du film, puisqu’il ne permet pas de tout entrevoir, de la même manière que les protagonistes, bien que supposés connaître leur destinée, demeurent incapables de maîtriser leurs actes et de la réaliser.
Le Château de l’Araignée est l’une des œuvres les plus complètes et les plus abouties d’Akira Kurosawa. Le réalisateur montre ici sa capacité à brillamment mettre en scène ses films, à s’approprier un classique du théâtre et de la littérature, et à en restituer une oeuvre très philosophique et puissante. Satire d’un monde où l’Homme, pensant être tout puissant, n’est qu’un pion facilement manipulable, plus victime que maître de son destin, Le Château de l’Araignée est de ces œuvres intemporelles, pierre angulaire de la filmographie d’un maître du septième art, et classique du cinéma.