Adaptation libre du chef-d'œuvre shakespearien Macbeth transposé en plein cœur du Japon médiéval, Le Château de l'araignée s'impose définitivement comme une œuvre marquante dans la filmographie du maître japonais.
Tout d'abord, on a le droit à une jonction magnifique entre une esthétique formelle travaillée et une ambiance générale angoissante, dérangeante, à l'image de ce qu'on attend du film.
Il y a une certaine force dans la mise en scène que l'on retrouve à travers notamment les multiples scènes du début dans le brouillard, symbolisant pour certaines d'entre elles, le labyrinthe dans lequel s'empêtrent les deux personnages revenus victorieux de leur combat.
On pensera également à la viscosité du sang sur les mains d'Asaji Washizu vers la fin du film, rappelant l'impossibilité d'effacer les marques d'un crime dans lequel cette culpabilité consentante originelle ne cesse de les hanter.
La rencontre avec la sorcière dans la forêt de l'araignée est très réussie et dévoile à merveille l'écart monumental qui sépare l'esprit sage de la folie aveugle. En effet, Washizu souhaite des réponses immédiates et brèves, il s'agace de ne pas les avoir plus rapidement. Il préfère refuser d'entendre calmement et de manière raisonnée ce qui attend les hommes remplis de colère et assoiffés de pouvoir. Washizu est définitivement énervé, colérique. L'esprit quant à lui se montre toujours très calme dans sa gestuelle et très posé dans le timbre de sa voix.
A ce propos, l'esprit le met bien en garde sur l'idée que l'homme a bien souvent peur de sonder le fond de son cœur, car s'il l'écoutait véritablement, il serait en proie à des folies meurtrières. On comprend donc ici que l'esprit annonce ce qui adviendra par la suite, à savoir, que le protagoniste souhaite au fond de lui-même, prendre la place de son maître mais se refuse à voir cette idée lui traverser l'esprit (jeu typique de la conscience avec le déni). Finalement, on peut voir dans le personnage d'Aseji Washizu, celle qui permet à Taketoki d'accoucher véritablement de cette pulsion dionysiaque, de ce désir effroyable qu'il ne peut pleinement évacuer de ses pensées.
Kurosawa a voulu se servir des techniques qui caractérisent le théâtre Nô tout au long de ce film, et en effet, il y a bel et bien une recherche de la beauté stylisée de cette forme théâtrale propre au Japon ici. Dans le théâtre Nô, la gestuelle a une importance capitale, et c'est sur ce point important que Kurosawa bâtit les nombreux plans qui composent ce film (en particulier lorsque les personnages se trouvent en intérieur). On a donc une impression d'immobilité dans les grands plans d'ensemble, mais ils cachent en réalité un grand travail du mouvement, et notamment sur la gestuelle très symbolique des personnages.
Effectivement, on peut aisément constater avec quelle lenteur Asaji Washizu s'assoit auprès de son mari dans certains scènes, mais cela est utilisé pour montrer le lourd fardeau qu'elle porte en elle et la profondeur du drame qui commence à régner sur sa conscience. La lenteur et la gestuelle sont donc porteuses de sens à chaque plan.
Aussi, nous avons le personnage de Taketoki Washizu, interprété par un brillant Mifune qui ne cesse de crever l'écran à chacune de ses apparitions dans les films de Kurosawa.
La façon avec laquelle il fait sombrer progressivement son personnage dans une folie déchirante est tout simplement magistrale, c'est une leçon d'acteur à tous les niveaux. De même que la gestuelle avait une part importante chez sa femme, on voit qu'il en sera de même avec lui dans ses nombreux moments d'explosion de colère ou de montée en tension progressive.
On se doit également d'évoquer la fameuse scène des flèches qui signe son arrêt de mort auprès de ses propres serviteurs qui ont compris définitivement l'escroquerie de ce personnage. Une scène grandiose avec une mort violente et surtout cruelle, à l'image d'un cinéma japonais qui nous ébahit toujours à une époque où celui-ci souffrait moins de certaines directives obligatoires et stupides que l'on pouvait trouver dans le cinéma américain de ces mêmes années.
On voit donc Taketoki à l'agonie, terminant sa vie misérablement, comme une araignée prise dans sa propre toile, avec un magnifique plan où les flèches qu'il a reçues donnent l'impression qu'il a des pattes.
C'est un cinéma d'une précision chirurgicale dans la gestion du mouvement. Kurosawa exprime toujours quelque chose par la force de sa mise en scène, qui s'articule dans ce film par le recours à une gestuelle ultra expressive et nerveuse pour Washizu contre une gestuelle de la lenteur, du dérangement et de la crispation pour sa femme. Un grand moment de cinéma !