Le Château de l'araignée est une adaptation du Macbeth de William Shakespeare, dont l'histoire est transposée à l'époque du Japon féodal. Ce film d’époque est joué dans le style dépouillé du théâtre No, selon les recommandations de Kurosawa à ses acteurs.
Au temps des guerres civiles du Japon, deux généraux reviennent d’une bataille. Dans la forêt de l’araignée ils rencontrent un esprit qui prophétise que l’un, Taketoki Washizu (Mifune) deviendra le seigneur du château, et que le fils de l’autre, Yoshiteru Miki, lui succédera. De cette prophétie découlera tout le reste : une histoire de violence au cours de laquelle les événements s’enchaîneront inexorablement les uns après les autres.
La prophétie est ici une parole qui prédit l’avenir. Mais comme toute prophétie, elle ne dit pas tout et elle peut être interprétée de diverses manières. Je suis sensible à ce thème car cela rejoint nos propres vies. Si nous n’avons pas eu forcément affaire à une fée se penchant sur notre berceau ou à une sorcière rencontrée au fond d’une forêt mystérieuse, nous avons chacun entendu des paroles nous « prédisant » ou nous dictant notre avenir : « tu seras ceci » ou « tu vas finir comme cela ». Nous portons tous un bagage de paroles « prophétiques » heureuses ou malheureuses. C’est pourquoi j’aime les histoires autour de ce sujet. Par exemple le thème est traité de façon très intéressante dans Harry Potter.
Quelle part de liberté reste-t-il à une personne marquée par une prophétie ? Va-t-elle vivre sous son pouvoir et s’y soumettre ou au contraire s’en détacher et suivre son propre chemin ? Deux personnages incarnent ici les deux attitudes opposées. Celle d’Asaji la femme de Washizu :
Veuillez ouvrir les yeux et regarder autour de vous. Les conditions sont réunies. Vous n’aurez aucun mal à transformer la prophétie en réalité.
Tandis que le fils de Miki fait entendre à son père un discours inverse :
Envoûté par cette sorcière, vous taillez le réel selon la prédiction et vous dites que c’est la prophétie. Ce n’est que de la folie !
Washizu, c’est le personnage qui se soumet pour sa perte à la parole prononcée sur lui : celle de sa femme en tout premier lieu qui ne fait que reprendre la parole du spectre. Personnage essentiel dans cette histoire, la parole d’Asaji est la toile qui englue Washizu et un poison qui le prive de toute liberté, le poussant à l’irréparable. C’est ainsi qu’il déclenche les événements aboutissant à l’accomplissement de la prophétie. Pourtant tout du long on se rend compte que la prophétie aurait pu s’accomplir sans passer forcément par la violence.
L’histoire se déroule entièrement dans une atmosphère inquiétante, oppressante :
- Le brouillard présent dans plusieurs séquences crée un caractère irréel, brouille la vision à l’image du personnage de Washizu, perdu dans son brouillard intérieur.
- La forêt mystérieuse et son labyrinthe.
- la séquence tellement simple mais tellement impressionnante où Asaji s’enfonce dans l’obscurité totale de l’embrasure de la porte et en resurgit comme du fond des ténèbres !
- Les scènes hors champs, dont Kurosawa est un maître, participent aussi à cette atmosphère : la scène du meurtre qui n’est pas montrée mais dont toute l’horreur se dessine sur le visage de Washizu, la scène où Washizu tournant en rond dans une pièce écoute la voix empoisonnée de sa femme qu’on ne voit pas, donnant à cette parole un fort pouvoir de suggestion.
- et il est impossible de ne pas citer la séquence des flèches où la tension est à son paroxysme ! Flèches qui forment elles aussi, comme une toile d’araignée à laquelle il est impossible d’échapper. Une scène impressionnante quand on sait qu’elle a été réalisée sans trucage, les flèches ayant été tirées réellement sur l’acteur pour décupler l’effet d’effroi !
Le Château de l'araignée fait partie des grandes œuvres de Kurosawa, une œuvre aboutie du point de vue formel et du point de vue de son intrigue. Une œuvre qui nous renvoie à nos vies et à ce que nous choisissons de faire des paroles entendues. Car nul doute qu’il existe d’autres chemins que celui emprunté par Washizu !