Le Cheval de Turin par Maqroll
Après la citation en voix off d’une anecdote sur l’entrée dans la folie de Nietzsche, on se retrouve projeté dans un univers de fin de monde, évoquant irrésistiblement les mondes glacés de Tarkovski. Dans une plaine balayée par une tempête qui paraît éternelle, la vie s’écoule, aride et austère pour un paysan hémiplégique et sa fille, laide et aussi dure que lui. Les jours passent… tous les mêmes en apparence Ils n’ont presque rien : un vieux cheval, des terres qu’on devine minuscules et pauvres, du mauvais alcool qu’ils boivent dans un rituel quotidien, un puits pour cuire de grosses pommes de terre qu’ils mangent brûlantes après les avoir épluchées de leurs ongles… Mais l’autre est là, pas loin, menaçant, qui veut s’accaparer et souiller, à l’image de ces Tziganes de passage qui manifestent bruyamment que la terre et l’eau sont à eux… Alors commence la plongée finale, inexorable, fatale, acceptée sans une plainte… et la lumière ne fut plus ! Sur une trentaine de plans séquences, on est pris, capté, hypnotisé par des images en noir et blanc d’une beauté farouche, par le rythme pesant d’une musique répétitive, par cette vision noire de l’humanité. Poème désespéré, ce dernier film annoncé de Béla Tarr laisse une cicatrice qui s’agrandit avec le temps qui passe. Il s’installe, on s’en pénètre, on s’en imbibe comme le paysan de sa vieille gnôle avant de le laisser descendre tout au fond de soi pour y rencontrer sa propre peur du vide et du noir, de la faim et de la soif, de la solitude et du néant… mais aussi son désir de vivre, de prolonger cette souffrance jour après jour, le plus longtemps possible… La condition humaine est terrifiante !